Les populations humaines vivant autour de la falaise de Tiguidit connaissent intimement leur territoire : chaque kori, chaque pâturage, chaque relief leur est familier. Depuis longtemps, elles savent qu’à certains endroits très particuliers, dans les argiles et les grès, se trouvent des ossements géants qu’elles ne reconnaissent pas dans la faune actuelle. Le géologue français Fernand Chudeau est le premier, en 1907, à identifier ces ossements comme fossiles, lors d’une tournée au sud de Marandet (Chudeau 1909). Mais c’est en 1953 qu’Albert-Félix de Lapparent les identifiera comme des restes dinosauriens (Lapparent 1958).
En 1964, alors qu’ils recherchaient du minerai d’uranium, des géologues du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) découvrent des ossements de dinosaures datant du Crétacé inférieur à Gadafawa, à 150 km au sud-est d’Agadez. Jean-Paul Lehman, alors directeur de l’Institut de Paléontologie du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris, envoie l’un de ses étudiants, Philippe Taquet, pour suivre cette découverte. C’est ainsi que débutent les premières études et expéditions à vocation purement paléontologique au Niger, menées entre 1965 et 1975, au cours desquelles environ 25 tonnes de matériel seront collectées (Leblanc 2022). Philippe Taquet soutiendra sa thèse sur le gisement de Gadafawa en 1973. Ces recherches ont permis la découverte, entre autres, du crâne d’un crocodilien, Sarcosuchus imperator, d’empreintes de dinosaures, du squelette de Ouranosaurus nigeriensis Taqueti, de troncs silicifiés, ainsi que de nombreux autres spécimens.
À partir des années 1990, Paul Sereno (Université de Chicago) revisite à plusieurs reprises la région de Gadafawa et recueille de nombreux spécimens remarquables de dinosaures. Son équipe découvre également, à In Abaka, dans la région d’In Gall, des ossements appartenant à deux nouvelles espèces de dinosaures vieilles de 130 millions d’années. Le premier est un carnivore de 10 mètres de long, baptisé Afrovenator abakensis. Le second, un sauropode herbivore de la famille des Brontosauridés, Jobaria tiguidensis, mesure 20 mètres de long, avec un très long cou et une masse imposante. De nouvelles espèces de crocodiles et de tortues ont également été ajoutées à la collection toujours croissante de reptiles et de vertébrés fossiles du Niger (Leblanc 2022).
L’environnement
Durant le Permien, vers 250 millions d’années, le climat était principalement aride à semi-aride, marqué par de vastes déserts intérieurs et de fortes variations saisonnières. Toutefois, certaines zones du Sahara présentaient encore des bassins sédimentaires humides et des rivières temporaires, permettant la survie d’une faune variée, dominée par des thérapsides (ancêtres des mammifères), des amphibiens géants et des reptiles primitifs. Ce n’était pas encore l’ère des dinosaures, mais celle de leurs prédécesseurs évolutifs (Fabre 2005).
Au Trias, le Sahara faisait toujours partie du Gondwana, mais l’environnement évoluait : des vallées fluviales, des plaines inondables et des lacs peu profonds occupaient certaines zones, favorisant le développement d’écosystèmes complexes. Le climat restait chaud, mais commençait à être influencé par des régimes de mousson saisonniers, entraînant une alternance entre saisons sèches et humides. C’est à cette époque que les premiers dinosaures primitifs apparaissent dans la région.
Il y a environ 135 millions d’années, la région autour de la falaise de Tiguidit était une vaste plaine, couverte de conifères et de grandes fougères luxuriantes. Le bassin des Ouelleminden était alors traversé par de larges rivières. On y trouvait une faune aquatique abondante : de nombreuses espèces de poissons, des crocodiles, des tortues semi-aquatiques. Sur la terre ferme cohabitaient plusieurs espèces de dinosaures, tant herbivores que carnivores. Le climat était chaud et humide, sans saisonnalité marquée, comme en témoigne l’absence de stries de croissance dans les bois fossilisés.
À la fin du Trias, au Crétacé inférieur (vers 120 Ma), une mer peu profonde ou un vaste réseau fluviatile recouvrait l’Afrique saharienne et sahélienne. Les sédiments déposés à cette époque — appelés Continental Intercalaire — contiennent les principaux gisements de bois silicifiés et de restes de dinosaures, dont les plus importants se trouvent dans la région d’In Gall.
D’autres animaux vivaient alors aux côtés des dinosaures. Dans les milieux aquatiques, ont été recensés des mollusques bivalves, de nombreux poissons (certains à poumons, comme les dipneustes et les cœlacanthes), des requins d’eau douce, ainsi que des restes très rares de tortues. La présence de crocodiles est attestée par des dents, parfois très fréquentes dans certains gisements, ainsi que par divers ossements.
En Ighazer, les prospections ont permis d’identifier de nombreux sites fossilifères, notamment dans la zone de Gadafawa, au sud-est d’Agadez, et autour des falaises de Tiguidit. Si l’on examine les périodes des fossiles en fonction de leur niveau géologique, une gradation temporelle nette apparaît. Les plus anciens datent du Permien/Trias (environ 250–200 Ma) dans la région d’Arlit. En Ighazer, les fossiles datés du Jurassique apparaissent, et tout autour de la plaine, dans les formations du Tegama, ce sont les fossiles du Crétacé — de loin les plus nombreux — qui dominent (vers 150–100 Ma). Enfin, au sud-ouest du Niger, on trouve des couches plus récentes du Paléogène, remontant jusqu’à environ 70 Ma.
Cette gradation ne reflète pas une répartition géographique des espèces fossiles, mais dessine plutôt une carte des affleurements géologiques en surface.
Deux grandes périodes de présence des dinosaures au nord du Niger peuvent ainsi être distinguées :
• une phase ancienne, à la charnière entre le Permien et le Trias, s’étalant sur moins de 50 millions d’années,
• une phase plus récente, temporellement plus étendue, centrée sur le Crétacé mais englobant aussi partiellement le Jurassique et le Paléogène, couvrant plus de 100 millions d’années.
La période ancienne
Au Carbonifère, il y a plus de 300 millions d’années, les fossiles datés du Viséen, trouvés dans la formation de Talak, sont notamment constitués de conulariidés — des cnidaires fossiles en forme de petits cônes — qui ont été décrits pour la première fois à l’échelle du continent africain (Babcock et al. 1995). Ces organismes vivaient vraisemblablement dans un environnement végétal dominé par des lycophytes et des fougères arborescentes, comme l’attestent des découvertes similaires en Argentine et en Inde, régions qui, à l’époque, faisaient partie du supercontinent Gondwana, tout comme le Niger actuel.
Le Permien, qui s’étend de 290 à 250 Ma, est caractérisé par l’existence d’un unique continent émergé, la Pangée. C’est également durant cette période que se forment les séries de grès d’Agadez, qui constituent la base géologique du bassin des Ouelleminden. C’est aussi au Permien que débute la sédimentation dans ce bassin, et que les premiers dinosaures apparaissent. Ces derniers étaient alors principalement de petits animaux agiles bipèdes, ancêtres des reptiles. Cependant, ils n’étaient pas encore les animaux terrestres dominants. À cette époque, ce sont plutôt des reptiles ressemblant à des crocodiles, les pseudosuchiens, qui occupaient la place de prédateurs principaux.
En 2005, deux fossiles majeurs, Nigerpeton et Saharastega, ont été identifiés dans la région d’Arlit. Ces amphibiens, longs de plus de trois mètres, étaient à la fois terrestres et aquatiques, et leur mode de vie ressemblait à celui des crocodiles. Les données géologiques et les simulations climatiques indiquent l’installation progressive de conditions semi-désertiques, remplaçant un climat auparavant plus tempéré. Ces carnivores, sortes de salamandres géantes, évoluaient dans une immense plaine traversée par des cours d’eau en voie d’assèchement. Nigerpeton et Saharastega constituent les premiers temnospondyles (tétrapodes semi-aquatiques) connus du Permien supérieur en Afrique de l’Ouest, partageant plusieurs caractéristiques crâniennes (Sidor et al. 2005).
Ce groupe de fossiles anciens se concentre surtout dans la région d’Arlit, au nord de notre plaine d’étude, notamment dans la formation de Moradi, dont les affleurements témoignent de dépôts sédimentaires déposés en conditions arides dans le désert pangéen central. Cette formation renferme, outre Saharastega et Nigerpeton, des genres comme Bunostegos et Moradisaurus. La formation dite Teloua 1, dans la vallée d’Anou Zaggaren, contient également des empreintes fossiles de Chirotherium, caractérisées par cinq doigts, attribuées probablement à des archosaures, ancêtres des crocodiliens.
Le Trias marque de profonds bouleversements dans la diversité et la domination des espèces sur Terre, avec l’apparition de nombreux groupes d’animaux qui allaient régner pendant des dizaines de millions d’années. Cette période s’achève par une extinction massive d’espèces, coïncidant avec le début de la fragmentation de la Pangée.
La période récente
Au Jurassique, vers 150 millions d’années, les fossiles sont principalement localisés dans les formations géologiques du groupe Irhazer, notamment à In Gall, Marandet, In Abaka et Tabidene :
• Dans la formation des grès d’Assaouas, datant du Jurassique supérieur, ont été observées des traces fossiles de sauropodes et de théropodes.
• Les formations d’Irhazer, composées de grès argileux, ont livré plusieurs espèces remarquables telles que Spinophorosaurus, Afrovenator, ainsi que Rebbachisaurus, Elaphrosaurus et des dinosaures indéterminés.
• La formation de Tiourarén, unité la plus récente des argiles de l’Irhazer, témoigne d’un environnement marécageux avec des inondations saisonnières. On y trouve notamment des sauropodes dont le célèbre Jobaria, ainsi que Afrovenator et des crocodiliens.
Au Crétacé, et plus particulièrement dans la région d’Ighazer, les fossiles se trouvent dans les formations du groupe Tegama, caractérisées par une alternance de grès et d’argiles. Les principales formations concernées sont :
• La formation d’Elrhaz, datée d’environ 115 Ma, présente dans la zone de Gadafawa à l’est et Tamaya Mellet à l’ouest.
• La formation d’Echkar, plus récente (vers 110 Ma), située stratigraphiquement au-dessus d’Elrhaz, également composée d’alternances de grès et d’argile.
Les dinosaures et autres vertébrés remarquables identifiés dans ces formations sont :
• Dans la formation d’Elrhaz, sur une étendue d’environ 180 km, on trouve le crocodilien géant Sarcosuchus, les dinosaures herbivores Ouranosaurus, Nigersaurus, ainsi que les théropodes Suchominus et Kryptops. On y a aussi découvert la tortue paléoméduse Laganemys tenerensis près de Gadafawa. Découverte dans un environnement fluvial, cette tortue aquatique à long cou était probablement un prédateur des eaux calmes (Sereno et El Shafie 2012).
• La formation d’Echkar abrite des sauropodes tels que Aegyptosaurus, des théropodes comme Bahariasaurus, ainsi que des crocodiliens et autres reptiles, notamment Kaprosuchus.
Cette diversité témoigne d’un écosystème particulièrement riche à la fin du Crétacé inférieur, associant grands théropodes, herbivores imposants, crocodiliens variés et faune aquatique. L’unité stratigraphique d’In Beceten illustre également cette richesse, avec la présence d’amphibiens, de crocodiliens, d’autres reptiles et de dinosaures.
Enfin, les fossiles plus récents ne sont retrouvés au Niger qu’à partir de sa partie sud-ouest, notamment dans la région de Tahoua.
Quelques sites de dinosaures autour de la falaise de Tiguidit
Niang (2000) nous décrit avec précision la richesse paléontologique du nord Niger: « le nord du territoire du Niger offre une chance encore inégalée en Afrique de suivre la dynamique évolutive des vertébrés continentaux sur toute la période Crétacé. Le groupe des gisements d'In Gall correspond à la période où l'Amérique du Sud était encore rattachée à l'Afrique ; un peu plus tard, le groupe des gisements de Gadoufaoua correspond à la période où la division des continents africain et américain était imminente ; encore un petit peu plus tard, le groupe des gisements d'In Abangarit correspond à la période où la séparation des deux continents était en action ; plus tard encore, le groupe des gisements d'In Beceten correspond à la période où l'Afrique était devenue une méga-île, complètement isolée de l'Amérique du Sud et de l'Eurasie ; et enfin, le groupe des gisements de Tillia correspond à la période où des ponts étaient de nouveau établis entre l'Afrique et l'Eurasie. C'est du moins le schéma que nous donne Paul Sereno » (Niang et al. 2000).
Les principales localités paléontologiques du nord Niger ont été explorées par des équipes françaises puis américaines, révélant une grande diversité de fossiles reptiliens :
• In Abangarit : découvert dans les années 1930, ce site est l’un des meilleurs du Sahara central pour les fossiles reptiles. Situé dans la partie supérieure du Continental intercalaire, il présente une forte diversité de dinosaures, notamment des théropodes carnivores (Baharijasaurus ingens, Carcharodontosaurus saharicus), ainsi que des sauropodes comme Rebbachisaurus tamesnensis et Aegyptosaurus baharijensis (Sereno 2000),
• In Gall : à proximité, ce site regroupe de nombreux ossements de grands sauropodes, formant un véritable « cimetière » dans les argiles rouges de l’Ighazer, partie inférieure du Continental intercalaire. On y trouve notamment Rebbachisaurus tamesnensis et Astrodon sp. (Sereno 2000),
• Falaise de Tiguidit : comprenant Marandet, la piste de Zinder et Irayen, ce secteur plus récent stratigraphiquement a livré de nombreuses dents de théropodes et des restes de sauropodes, avec des espèces comme Rebbachisaurus tamesnensis et des stegosauriens. Cette falaise marque la limite entre les grès du Tégama et la plaine de l’Ighazer (Sereno 2000),
• Région d’Arlit et environs : les sites plus anciens comme Moradi et Madaouela, datant du Permien-Trias, ont révélé des reptiles herbivores, amphibiens géants et poissons, témoignant d’une faune préhistorique diversifiée.
Exposition au Musée National du Niger (Niamey)
Plusieurs squelettes remarquables de dinosaures et crocodiliens sont exposés, parmi lesquels :
• Afrovenator abakensis : théropode carnivore (Megalosauridae)
• Ouranosaurus nigeriensis : dinosaure herbivore à crête dorsale
• Suchomimus tenerensis : grand dinosaure carnivore (Spinosauridae)
• Eocarcharia dinops : théropode carnivore
• Nigersaurus taqueti : petit dinosaure herbivore à tête large et plate
• Sarcosuchus imperator : crocodilien préhistorique contemporain des dinosaures
• Jobaria tiguidensis : grand dinosaure herbivore à long cou
• Elrhazosaurus nigeriensis : petit dinosaure herbivore grégaire
• Kryptops palaios : théropode carnivore au museau allongé et étroit
Un certain nombre de fossiles sont décrits sur cette page
Protection du patrimoine fossile autour de la falaise de Tiguidit
Les habitants locaux s'engagent à préserver ce patrimoine exceptionnel et non renouvelable, essentiel à la compréhension de l'évolution des dinosaures en Afrique.
Il est interdit d’exporter les fossiles hors du Niger. Merci de ne prendre que des photographies et de laisser les fossiles là où ils ont été trouvés.
Références
Agadez.org 2023 – Dinosaure du Niger, http://trenteseptbis.free.fr/agadez.org/pages_culture/dinosaures.htm consulté le 20 février 2023.
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Centre U.W.H. 2023 – Gisements des dinosauriens, UNESCO World Heritage Centre, https://whc.unesco.org/en/tentativelists/5056/ consulté le 20 février 2023.
Chudeau R. 1909 – Sahara soudanais, Librairie Armand Colin, 326 p.
Fabre J. 2005 – Géologie du Sahara occidental et central, Geoscience, 108.
Lapparent A. 1958 – Les Dinosauriens du Continental intercalaire du Sahara central, Comptes rendus de l’Académie des sciences, (246), p. 1237‑1240.
Leblanc J. 2022 – Stratigraphic Lexicon: The Sedimentary Formations of The Republic of Niger, Africa, Colnes Publishing.
Niang M.M., Nagando B., Seidou S., Wangari E. 2000 – Le pillage des sites culturels et naturels du Niger.
NSF 2020 – The paleobiology database, https://paleobiodb.org/#/ consulté le 25 février 2023.
Piveteau J. 1966 – Empreintes de pas de Vertébrés tétrapodes dans les séries continentales à l’ouest d’Agadès, Comptes rendus de l’Académie des sciences, (273), p. 28‑31.
Sereno P. 2000 – Expeditions - Paul Sereno - Paleontologist, The University of Chicago, https://paulsereno.uchicago.edu/expeditions/niger_2000/ consulté le 21 avril 2022.
Sereno P.C., El Shafie S.J. 2012 – A New Long-Necked Turtle, Laganemys tenerensis (Pleurodira: Araripemydidae), from the Elrhaz Formation (Aptian–Albian) of Niger, Vertebrate Paleobiology and Paleoanthropology, p. 215‑250.
Sidor C.A., O’Keefe F.R., Damiani R., Steyer J.S., Smith R.M.H., Larsson H.C.E., Sereno P.C., Ide O., Maga A. 2005 – Permian tetrapods from the Sahara show climate-controlled endemism in Pangaea, Nature, 434 (7035), p. 886‑889.
Philippe Taquet
Philippe Taquet sur la découverte de l'ouranosaure - Dinosaures et compagnie - 21.04.1976 - 03:06 - ina.fr