Les populations humaines tout autour de la falaise de Tiguidit connaissent bien leur territoire, elles connaissent chaque kori, chaque pâturage, chaque relief. Elles savaient depuis longtemps qu’à des endroits très particuliers dans des argiles, il y a des ossements géants qu'ils ne reconnaissent pas dans la nature actuelle. Chudeau, un géologue en tournée au sud de Marandet, est le premier en 1907 à identifier ces ossements comme ceux de dinosaures.
L’environnement
Il y a 135 millions d’années environ, la région autour de la falaise de Tiguidit était très différente de maintenant. Une plaine, plantée de conifères et parsemée de grandes fougères immenses et verdoyantes, le bassin des Ouelleminden, était parcourue par de larges rivières. De nombreuses espèces de poissons, des crocodiles et des tortues semi-aquatiques y vivaient. Sur la terre ferme, plusieurs espèces de dinosaures végétariens et carnivores cohabitaient. Le climat était chaud et humide sans cycle saisonnier, en atteste l'absence de stries de croissance dans les bois fossilisés.
Au Crétacé inférieur, il y a plus de 120 Millions d'années, une mer peu profonde ou fluviatile recouvrait l'Afrique Saharienne et Sahélienne. Les dépôts qui en résultèrent, formèrent les groupes des argiles de l'Ighazer et des grès du Tégama. Ce sont les sédiments déposés de la fin du Trias au Crétacé inférieur, qui contiennent les gisements de bois silicifiés et de dinosauriens, dont le plus important est celui de Gadoufawa à 150 km au Sud-Est d'Agadez et de la région d'In Gall. L’environnement est une savane de fougères et de conifères.
Le nord du territoire du Niger offre une chance, en Afrique, de suivre la dynamique évolutive des vertébrés continentaux sur toute la période Crétacé. Le groupe des gisements d'In Gall correspond à la période où l'Amérique du Sud était encore rattachée à l'Afrique ; un peu plus tard, le groupe des gisements d'In Abangarit, au nord-ouest de la plaine de l'Ighazer, correspond à la période où la séparation des deux continents était en action ; plus tard encore, le groupe des gisements d'In Becceten correspond à la période où l'Afrique était devenue une méga-île, complètement isolée de l'Amérique du Sud et de l'Eurasie ; et enfin, le groupe des gisements de Tillia correspond à la période où des ponts étaient à nouveau établis entre l'Afrique et l'Eurasie. C'est du moins le schéma que nous donne Paul Sereno, paléontologue de l'Université de Chicago.
D’autres animaux vivaient en même temps que les dinosaures. Dans l’eau, ont été répertoriés des mollusques bivalves, de nombreux poissons dont certains possédaient des poumons (dipneustes, cœlacanthes), des requins d’eau douce ainsi que des restes très rares de tortue. La présence de crocodile est attestée par des dents, parfois très communes dans certains gisements et nombre d'ossements divers.
En Ighazer, les prospections ont permises de décrire nombre de sites et notamment dans la zone de Gadafawa au sud-est d’Agadez et de notre plaine et autour des falaises de Tiguidit. Si l’on regarde les périodes des fossiles datés dans leur couche géologique, on remarque assez nettement une gradation temporelle des découvertes. Les plus anciennes se retrouvant dans les couches du Permien/Trias pour la Région d’Arlit vers 250 Ma. En Ighazer, on trouve des fossiles du Jurassique et enfin tout autour de notre plaine dans les formations du Tegama, les fossiles du Crétacé qui sont de loin les plus nombreux vers 100 Ma. Enfin, au sud-ouest du Niger on trouve les périodes les plus récentes du Paléogène. Cette gradation ne reflète pas une répartition géographique des espèces fossiles, mais bien entendu dessine une carte des affleurements géologiques de la surface terrestre.
Deux périodes de présence des dinosaures en Ighazer peuvent donc être proposées en lecture rapide. Tout d’abord, une période ancienne à la charnière entre le Permien et le Trias sur moins de 50 Ma, et une plus récente et plus large période temporellement autour du Crétacé, englobant en partie le Jurassique et le paléogène sur plus de 100 Ma.
La période ancienne
Au carbonifère, il y a plus de 300 Ma, les fossiles que l’on trouve sont ceux des plantes comme Callipteris, Cordaicarpus, Samaropsis.
Le Permien s’étale entre 290 et 250 Ma, un seul continent émergé existe alors, la Pangée. C’est la période de formation des séries de grès d’Agadez qui sont la base du bassin des Ouelleminden. C’est aussi les débuts de la sédimentation dans ce même bassin et durant cette période que les premiers dinosaures sont apparus. Il s'agissait principalement de petits animaux agiles qui marchaient sur deux pattes, ancêtres des reptiliens. Ce n’était donc pas encore le temps des animaux terrestres dominants. En effet, c'était un groupe de reptiles ressemblant à des crocodiles, connus sous le nom de pseudosuchiens, qui étaient les principaux prédateurs.
En 2005, deux fossiles ont été identifiés, Nigerpeton et Saharastega dans la région d’Arlit. Longs de plus de 3 mètres, ils étaient à la fois terrestres et aquatiques et ressemblaient à des crocodiles, dont ils avaient le mode de vie. Les données géologiques et les simulations climatiques suggèrent que des conditions semi-désertiques se mettaient en place, remplaçant peu à peu un climat plus modéré. Carnivores, ces sortes de salamandres géantes vivaient dans une immense plaine traversée par des cours d'eau en voie d'assèchement. Ces deux amphibiens sont les premiers temnospondyles (tétrapodes semi-aquatiques) connus du Permien supérieur en Afrique de l'Ouest. Plusieurs caractéristiques crâniennes unissent Nigerpeton et Saharastega (Sidor et al. 2005).
La Trias a vu d'énormes changements dans la diversité et la domination de la vie sur Terre, inaugurant l'apparition de nombreux groupes d'animaux qui allaient régner sur la planète pendant des dizaines de millions d'années. Elle se termine par des extinctions massives d’espèces, à peu près au même moment que la Pangée se scinde.
Cet ensemble de fossile anciens se retrouve surtout dans la région d’Arlit au nord de notre plaine et en particulier dans la formation dite de Moradi qui affleure. La sédimentation de cette couche indique que les dépôts se sont fait en condition arides dans le désert pangéen central. Cette formation recèle, outre Saharastega et Nigerpeton, Bunostegos, Moradisaurus entre autres.
La période récente
Au Jurassique, les fossiles se trouvent surtout dans les formations géologiques d’Assaouas, d’Irhazer II et Shales et de Tiourarén. Dans les grès d’Assaouas du Jurassique supérieur, des traces de Sauropodes et Théropodes fossiles ont été observées. Dans les formations Irhazer, qui sont des argiles, sont repérés Spinophorosaurus, Afrovenator entre autres, mais aussi Rebbachisaurus, Elaphrosaurus ou des Dinosauria indéterminés.
Pour la formation de Tiourarén, qui est l’unité la plus élevée des argiles de l’Irhazer, l’environnement semble alors marécageux avec des inondations saisonnières. On y trouve des Sauropodes et le fameux Jobaria, mais aussi Afrovenator ou encore des Crocodylia.
Au Crétacé, tout au moins autour de l’Ighazer, les formations géologiques qui contiennent les fossiles sont celles d’Elrhaz pour la zone de Gadafawa et d’Echkar à l’est et l’ouest de notre zone d’étude. La formation d’Elrhaz fait partie du Tegama, où la sédimentation présente une alternance de grès et d’argile. Cette formation s’étend sur près de 180 km et est datée de 112 Ma environ. On trouve dans cette couche géologique, le Sarcosuchus, l’Ouranosaurus, le Suchominus, le Nigersaurus ou le Kryptops. On y rencontre également une tortue paléoméduse Laganemys tenerensis près de Gadafawa. Découvert dans un environnement fluvial, Laganemys aurait été un prédateur aquatique à long cou adepte des eaux calmes (Sereno et El Shafie 2012).
La formation d’Echkar, comprend également une alternance de grès et d’argile et se situe en dessus de celle d’Elrhaz, elle est donc plus récente vers 100 Ma. On y trouve l’Aegyptosaurus, le Bahariasaurus, le Kaprosuchus et bien d’autres.
Quelques sites de dinosaures autour de la falaise de Tiguidit
Actuellement, plusieurs squelettes de dinosaures et de croccodiliens sont exposés au Musée National du Niger à Niamey, étant les plus remarquables pour le Niger.
- Afrovenator abakensis, un théropode carnivore de la famille des Megalosauridae,
- Ouranosaurus nigeriensis, un dinosaure herbivore à crête dorsale,
- uchomimus tenerensis, un grand dinosaure carnivore de la famille des Spinosauridae,
- Eocarcharia dinops, un autre théropode carnivore,
- Nigersaurus taqueti, un dinosaure herbivore de petite taille avec une tête large et plate,
- Sarcosuchus imperator, un crocodilien préhistorique qui coexistait avec les dinosaures,
- Jobaria tiguidensis, un grand dinosaure herbivore à long cou,
- Elrhazosaurus nigeriensis, un petit dinosaure herbivore qui vivait en groupe,
- Kryptops palaios, un théropode carnivore qui avait un museau allongé et étroit,
Les principales localités explorées recensent également un certain nombre d'autres sauriens, relevés par les équipes de recherches françaises puis américaines.
- In Abangarit : l'un des meilleurs sites de fossiles reptiliens du Sahara central, trouvé par le capitaine Archier. Des os et des dents sont abondants dans certaines zones qui semblent correspondre à un delta fluviatile. Les dinosaures y sont très variés avec en particulier une grande fréquence de dents de théropodes carnivores. Stratigraphiquement, la série In Abangarit est située dans la partie supérieure du Continental intercalaire. On y retrouve : Baharijasaurus ingens, Carcharodontosaurus saharicus, Elaphrosaurus iguidiensis, Elaphrosaurus gautieri, Inosaurus tedreftensis, Rebbachisaurus tamesnensis, Aegyptosaurus baharijensis, Stegosaurian sp. (Sereno 2000).
- In Gall : à 1 km au nord d'In Gall, au pied des buttes argilo-sableuses, un site important où les ossements de grands sauropodes sont nombreux. Il ressemble à un cimetière de dinosaures, qui se sont peut-être eux-mêmes embourbés dans les marais des argiles rouges. Ces argiles de l'Ighazer appartiennent à la partie inférieure du Continental intercalaire. Dans ce même horizon, ont été rencontré des dinosaures, dont Rebbachisaurus tamesnensis, Astrodon sp. (Sereno 2000).
- Les localités de la falaise de Tiguidit sont situées un peu plus haut stratigraphiquement : Marandet, la piste de Zinder, Irayen. Ils ont fourni plus spécialement de nombreuses dents de théropodes et des restes assez nombreux de sauropodes. Cette falaise de Tiguidit, si remarquable par son développement dans un long arc de cercle de 250 km, détermine la séparation entre les grès du Tégama, et la plaine de l'Ighazer. On y retrouve Rebbachisaurus tamesnensis, Elaphrosaurus iguidiensis, Rebbachisaurus tamesnensis, stegosaurian sp. (Sereno 2000).
Les habitants des environs de la falaise de Tiguidit veulent préserver et mettre en valeur leur patrimoine. Les fossiles de cette zone ne sont pas seulement uniques, procurant une page essentielle dans la compréhension de l’évolution des dinosaures en Afrique, ils sont également non renouvelables. S’il vous plaît, ne prenez que des photographies, laissez les fossiles là où vous les avez trouvés. Il est illégale de sortir des fossiles de toutes sortes du Niger.
Références
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Centre U.W.H. 2023 – Gisements des dinosauriens, UNESCO World Heritage Centre, https://whc.unesco.org/en/tentativelists/5056/ consulté le 20 février 2023.
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NSF 2020 – The Paleobiology Database, https://paleobiodb.org/#/ consulté le 25 février 2023.
Piveteau J. 1966 – Empreintes de pas de Vertébrés tétrapodes dans les séries continentales à l’ouest d’Agadès, Comptes rendus de l’Académie des sciences, (273), p. 28‑31.
Sereno P. 2000 – Expeditions - Paul Sereno - Paleontologist, The University of Chicago, https://paulsereno.uchicago.edu/expeditions/niger_2000/ consulté le 21 avril 2022.
Sereno P.C., El Shafie S.J. 2012 – A New Long-Necked Turtle, Laganemys tenerensis (Pleurodira: Araripemydidae), from the Elrhaz Formation (Aptian–Albian) of Niger, Vertebrate Paleobiology and Paleoanthropology, p. 215‑250.
Sidor C.A., O’Keefe F.R., Damiani R., Steyer J.S., Smith R.M.H., Larsson H.C.E., Sereno P.C., Ide O., Maga A. 2005 – Permian tetrapods from the Sahara show climate-controlled endemism in Pangaea, Nature, 434 (7035), p. 886‑889.
Philippe Taquet
Philippe Taquet sur la découverte de l'ouranosaure - Dinosaures et compagnie - 21.04.1976 - 03:06 - ina.fr