« Hassan, fils de Mohammed, appartenait à une famille de Grenade; il portait le surnom de Ouazzan. Il est connu en Europe sous le nom de Jean Léon, prénoms de Léon X que ce pontife lui donna lorsqu'il abjura l'islamisme entre ses mains ». C’est sous la protection du pontificat de Léon X qu’il traduisit sa « Description de l’Afrique » en italien achevé vers 1526 (Scheffer 1898 ; Scheffer 1898 ; Scheffer 1898).
La géographie de Jean Léon l’Africain
Jean Léon l’Africain défini l’Afrique selon quatre zones principales que sont la Barbarie, partie la plus noble peuplée de blancs, la Numidie sans véritable royaume qui est la zone des palmiers dattiers le Bilad ed-djerid (le pays des palmes), la Libie qui est segmentée par le type de population qui y habitent, enfin, la Terre des Noirs dont les plus beaux royaumes sont situés sur le fleuve Niger. Cette dernière se poursuit vers les « bestes brutes en mauvaise condition et de perverse nature », dont on comprend bien qu’il n’y a plus d’humains suffisamment socialisés pour prétendre à cette appellation aux yeux de Jean Léon l’Africain. On comprend également que la zone actuelle située entre le Lac Tchad et la Nubie est mal connue, Gaoga pouvant être identifié à la région entre Darfour, Ouaddaï et Ennedi. De même pour la partie orientale du Sahara, réduite à un désert qui est peut être celui de Seu, le Nil passant sous ce désert, sorte de réminiscence de la période du méga Lac Tchad qui coulait vers l’est à travers le Barh el Ghazal.
Le Sahara est alors occupé d’ouest en est par des Sanhadja qui doivent confiner jusqu’à la Terre des Noirs, les Outzilla puis les Lamta qui font le lien entre le M’zab et les Ifoghas, les Targa qui sont les Touaregs occupant le Sahara central et qui confinent avec l’Aïr connue pour la douceur de son air tempéré. Enfin, les Berdoa autour du Fezzan que certains identifient aux Teda du Kawar et du Tibesti. Tous semblent porteur d’un voile de figure.
Du côté de notre zone de travail, Jean Léon l’Africain énumère les royaumes d’ouest en est, même si l’on se doute que ce n’est pas non plus une succession stricte. Tout d’abord, les royaumes de la zone sahélienne nord de Oualata à Agadez, puis à une latitude inférieure les royaumes de la zone sahélienne sud, des Cités Hausa à la Nubie. A l’ouest d’Agadez, il y a le Guber puis le royaume de Gao, ce qui semble une succession normal, le royaume de Tigidda ayant périclité à la fin du XVè siècle et le Guber faisant l’interface nécessaire dans le commerce vers les cités Hausa. L’énumération de ces dernières semblent plus aléatoires dans l’orientation, Cano, Catsena, Zanfara et Zegzeg, mais définissent néanmoins un espace bien circonscrit. On place alors Ouangara entre ces États et le Bornou autour du Lac Tchad. Trois rois néanmoins dominent cette terre, celui de Tombut qui n’est autre que le Izchia ou Askias qui en possède la plus grande partie, incluant donc les royaumes depuis Oualata jusqu’aux cités États Hausa, où il semble que l’Askias ait envahi ces contrées puis décapité les chefferies locales. Les deux autres ont le Bornou qui s’apprête à attaquer le Ouangara au passage de Léon L’Africain et enfin celui du Gaoga. Des dires des historiographes de l’époque, les rois de Tombut et avant du Melli, ainsi que celui d’Agadez étaient des Sanhadja du désert. Le royaume d’Agadez est également sous la coupe de l’Askias pour un tribu de 150 000 ducats, somme qui revient à plusieurs reprises dans les descriptions de Léon. De même, le roi du Bornou est issu des Berdoa.
Un élément intéressant rapporté par Jean Léon l’Africain, précise le langage de ces populations. Les royaumes autour du fleuve Niger utilise le Songhay, ce qui révèle certainement une utilisation bien plus ancienne de ce langage. Les cités États Hausa et le Guber parlent la même langue qui n’est autre que le Hausa et le Bornou parle une langue voisine de celle de Goaga, probablement des kanuriphones. Il ne dit rien du langage utilisé au royaume d’Agadez qui se trouve à la confluence des ces trois idiomes en sus du berbère.
Quelques mentions de Jean Léon tissent les voies commerciales vers Agadez, à partir de Fez et Tlemcen via Tesebit au Touat, et une route de Tunis via Ouargla mais aussi Ghadamès sous domination du roi de Tunis. Ces liens semblent directs sans intermédiaires. Le Fezzan est également connecté à Agadez et fort opulent grâce à cela. A la lecture de Jean Léon, les relations nord-sud semblent bien développées et même des plus lucratives, au détriment des relations est-ouest très peu évoquées. On notera également l’absence d’intermédiaires pour toute la traversée du Sahara. Néanmoins, au sud de ce dernier ce sont les berbères qui prennent tributs auprès des commerçants, alors que nord du Sahara ce sont plutôt les arabes qui prennent ces tributs.
A Agadez, on récolte la manne au matin pour en faire une boisson rafraîchissante. Ce pourait être cette même boisson rapporté par Barth « fura » ou « eau de ghussub » avec ‘Penissetum districhum’, mais en fait plutôt le cramcram ‘cenchrus biflorus’ (Bernus 1972). La récolte se fait le matin certainement parce que l’humidité matinale permet de faciliter la récolte de ce fruit piquant mais qui se ramolli à la moindre humidité, c’est d’ailleurs comme cela qu’on le retire de ses vêtements en mouillant ses doigts.
Le pays d’Agadez
La ville de Gao ne possède pas de muraille et on peut déceler dans le récit du voyageur une ville duale, la cité du souverain entouré de ses servants est à l’écart de la ville marchande. Sur la route d’Agadez, il y a Guber, un royaume où il y a un grand nombre de tisserands et cordonniers, lesquels font des sandales qu’ils exportent en grande quantité à Tombut et Gao. Un village de 6000 feux tient lieu de capitale, le roi a été tué par Askias qui oppresse ce peuple, maintenant pauvre. Le riz est présent dans cette région et est cultivé en décrue, ce qui nous amène à penser que l’on n’est pas loin du fleuve Niger ou dans les dallols. Il n’est pas impossible que sous cette dénomination Jean Léon n’englobe pas aussi le Kebbi qu’il ne cite pas ainsi qu’une partie au moins de la Zarmaganda.
A la différence de Gao, Agadez est ceint d’une muraille. Il n’y a pas ici de ville duale, peut être du fait de l’insécurité de la zone. Les principaux habitants sont les marchands étrangers qui ont bâti des maisons à la manière de la Berbérie. Ils sont entourés d’un grand nombre d’esclaves pour leurs affaires et la ville recense aussi des artisans autochtones ainsi que les hommes du roi de la cité qui tient une bonne garde dans un somptueux palais. Sa garde néanmoins est composée de Libyens, plus sûrement des Targa qui habitent le pays et qui changent leur souverain selon leur bon vouloir. Les gens du royaume s’adonnent essentiellement au pastoralisme et vivent dans des tentes de nattes.
Toutes les cités Hausa au sud d’Agadez sont sous la domination de l’Askias et sont fort opulentes. La cité de Cano est, tout comme Agadez, composée de marchands et d‘artisans libres, les autres s’adonnant à l’élevage et l’agriculture. Léon ne le précise pas, mais il semble que les villes Hausa, à l’instar de Katsina et Zanfara, sont aussi ceintes de murailles, comme nous le rappelle au début du XIXè siècle les itinéraires transsaharien (Walckenaer 1821). Le pays Ouangara est coincé entre les puissances du roi de Tombut et de celui du Bornou. Il semble que ce soit à travers ce pays que l’or afflue en grande quantité. On doit très certainement voir ici, non pas un royaume mais plus une communauté d’intermédiaires de l’or, les Wangaras ou Djula qui déjà au sein du Mali détenaient cette tâche.
Références
Bernus S. 1972 – Henri Barth chez les Touaregs de l’Aïr, Études nigériennes, Niamey, Centre nigérien de recherche en sciences humaines, 195 p.
Schefer C. 1898 – Description de l’Afrique, tierce partie du monde, écrite par Jean Léon Africain, Ernest Leroux, volume 1, 378 p.
Schefer C. 1898 – Description de l’Afrique, tierce partie du monde, écrite par Jean Léon Africain, Ernest Leroux, volume 2, 378 p.
Schefer C. 1898 – Description de l’Afrique, tierce partie du monde, écrite par Jean Léon Africain, Ernest Leroux, volume 3, 378 p.
Walckenaer C.-A. 1821 – Recherches géographiques sur l’intérieur de l’Afrique septentrionale, Arthus Bertrand, 525 p.