« Essayer de penser les Bororos sans les zébus Bororoji serait trahir leur légende », disait Marguerite Dupire. Ce sont les seuls à posséder cette espèce de zébus, Bos indicus, à cornes en forme de lyre (Dupire 1962). Éleveurs légendaires de la bande sahélienne, les Peuls sont régulièrement ballottés par la géopolitique, leur esprit guerrier leur ayant également permis de fonder des États puissants. Les éleveurs peuls, chassés des régions agricoles méridionales en raison de la pression démographique et du développement des cultures intensives, pénètrent dans la zone pastorale jusqu'à la lisière du Sahara, occupée par les Touaregs et les Arabes (Bernus 1974). Au Niger, les Bororos, éleveurs de la race Bororoji, sont essentiellement des Wodaabé nomades.
L'origine des Peuls a été débattue tout au long du XXᵉ siècle, comme un long combat entre des hypothèses toutes aussi plausibles les unes que les autres. L'un des premiers à se lancer fut l'aventurier Henri Lhote en 1958, qui établit un parallèle avec les gravures et les peintures rupestres du Tassili n'Ajjer. Il y décela des individus présentant certains traits peuls, principalement au niveau vestimentaire et en lien avec l'environnement animal entourant ces personnages, tels que les bovins et la grande faune d'Afrique. Mais dès le XIXᵉ siècle, le phénotype particulier des Peuls intriguait déjà fortement les taxonomistes, incapables de classer cette population dans l'une de leurs catégories habituelles, entraînant ainsi la multiplication d'hypothèses farfelues.
Ils ont tour à tour été présentés comme des Berbères anciennement alliés à des Noirs, des descendants de légionnaires gaulois en garnison à Memphis, des migrants en provenance de Malaisie ou d'Inde, des Tziganes fuyant les invasions mongoles, voire des Océaniens, et bien sûr des migrants originaires d'Égypte (Boetsch et Ferrié 1999). Le point commun qui ressort de ces origines est sans doute leur caractère fortement exogène à l'Afrique, suggérant que les Peuls seraient nécessairement issus de populations blanches septentrionales. Cependant, l'idée d'une proximité biologique exogène à l'Afrique chez les Peuls persistait encore au début des années 1960, lorsque Marguerite Dupire écrivait : « Le Peul, ou du moins l'image idéale qu'on se fait de lui, non sans raison, est d'aspect plus 'europoïde' que 'négroïde' » (cité par Boetsch et Ferrié 1999). Lam aura, au début du XXIᵉ siècle, le mérite de les ancrer en Afrique en les reliant à la royauté pharaonique du Nouvel Empire (1500-1000 avant notre ère), qui avait l'habitude de se marier avec des Asiatiques de la péninsule Arabique (Lam 2003).
Par ailleurs, Amadou Hampâté Bâ, un Peul initié, élargit le champ d'investigation des origines au domaine du symbolisme. Il croyait reconnaître, dans certaines fresques rupestres décrites par Henri Lhote, la transcription de mythes connus et une série de rites encore pratiqués au début du XXᵉ siècle par des Peuls de la boucle du Niger (Hampaté Ba et Dieterlen 1966). Hampâté Bâ tente une reconstruction qui permet presque une lecture directe de la fresque. Cependant, il procède par calquage d'éléments extraits arbitrairement du récit, lesquels s'articulent aux images, dissociant ainsi les éléments de la structure constructive du mythe pour les superposer à des figures rupestres (Amrane 2002).
La tradition orale des Peuls les fait venir d'un pays mythique, Héli et Yoyo, où, avant la grande dispersion, ils auraient vécu heureux, comblés de toutes les richesses et épargnés de tout mal, y compris la mort. Cependant, comme c'est souvent le cas dans les mythes, leur mauvaise attitude et leur ingratitude provoquèrent la colère divine de Guéno, qui les maudit, les obligeant ainsi à émigrer (Lam 2003). Comme toute tradition orale, elle a très probablement été déformée au fil du temps, influencée par l'histoire. La vallée du Nil pourrait correspondre à cette tradition, mais le delta intérieur du fleuve Niger pourrait aussi être cette terre de richesse, avant les débuts de l'agriculture, qui ont initié des relations conflictuelles entre pasteurs nomades et cultivateurs sédentaires, des conflits qui persistent encore de nos jours partout où les Peuls mènent leurs troupeaux aux longues cornes.
Au Niger, l’origine des Bororos nomades apparaît dans les légendes comme surnaturelle ou infamante : ils seraient nés d’un génie, d’un captif ou d’une relation incestueuse, ce dernier type de récit étant le plus fréquent au Niger. Dans tous ces récits populaires, où se mêlent indistinctement des éléments islamiques et des traditions plus anciennes, on retrouve, sous des contextes locaux, des noms et des thèmes récurrents : une grande étendue d’eau dans une contrée orientale, berceau des Peuls nomades et de leur troupeau de zébus, l’apparition d’une langue nouvelle, des métissages avec des populations voisines et le rejet du Bororo à cause d’une origine infamante, tentative mythologique d’amalgame de tout ce qui fait la spécificité des Peuls (Dupire 1962). Au vu de tous ces amalgames, Marguerite Dupire nous conseille d’abandonner tout espoir de rencontrer des Peuls « purs » au Niger, les Wodaabé étant néanmoins ceux qui ont su préserver le mieux leurs traditions culturelles de nomadisme.
L’étude génétique des populations subsahariennes menée par Triska soutient l'hypothèse d'une origine nord-africaine pour les Peuls et d'une migration passée de l'Afrique de l'Ouest vers l'Afrique centrale (Triska et al. 2015). En effet, les Peuls nomades possèdent une composante ouest-africaine plus importante que la composante est-africaine et présentent également une composante nord-africaine plus marquée, ce qui permet d'envisager l'hypothèse d'un ancêtre nord-africain chez les Peuls. De la même manière, le fait que les Peuls appartiennent à la famille linguistique atlantique du phylum Niger-Congo montre que l'influence berbère atteint 30 % par rapport au substrat ouest-atlantique, mais uniquement chez les groupes nomades, et non chez les Peuls sédentaires, chez qui l’apport non subsaharien est moins important. Cet impact berbère se retrouve à un plus faible pourcentage chez les Daza du Tchad, dominés par les composantes est-africaines (Gallay 2020). Ces études linguistiques et génétiques confirment une origine non exogène à l’Afrique des Peuls nomades, dans une histoire migratoire à l’image de leur société actuelle, se décomposant et se recomposant perpétuellement, tout en intégrant des populations autochtones.
Des pasteurs graveurs qui s’émancipent à l’aube de l’histoire
Christian Dupuy (Dupuy 1999 ; Dupuy 2011) précise l'intuition d'Henri Lhote en identifiant, parmi les représentations rupestres, un groupe de pasteurs de bovins pouvant être associé à certains groupes peuls. Ces pasteurs nomades évoluaient dans un environnement où la grande faune et les bovins coexistaient. Ces hommes, dont les préoccupations étaient orientées vers l'extérieur des campements – aucune représentation féminine ni scène de campement n'est présente – en seraient les auteurs, dans une vaste région géographique délimitée par les gravures à travers le Sahara central et au-delà.
Dès lors que le port de la lance devient une tradition, comme c'est encore le cas chez certains Peuls de la boucle du Niger, l'image gravée de l'homme devient imposante (Dupuy 1999). Cette évolution de l'art rupestre concerne principalement le sud du Sahara, notamment l'Adrar des Ifoghas et l'Aïr, où se concentrent les porteurs de lance (Dupuy 2011). C'est aux côtés de ces nouvelles représentations de porteurs de lance que les premières images de chevaux apparaissent, bien que personne ne les chevauche encore.
Les lances et les chevaux deviennent les nouveaux symboles de pouvoir des pasteurs bovins qui, afin de défendre leurs intérêts face à la concurrence humaine et à la dégradation de leur environnement, se structurent hiérarchiquement autour de ces attributs. Le char attelé représente en quelque sorte l'aboutissement de cette évolution, jusqu'à ce que les conditions environnementales les contraignent à se replier vers la zone sahélienne, seule garante de la poursuite de l'élevage bovin. Selon Christian Dupuy, on pourrait retrouver ces groupes chez certains Peuls de la boucle du Niger et d'autres autour du lac Tchad. Le début de la sédentarisation d’une partie de ces populations marque ainsi la fin de cette tradition des gravures rupestres (Dupuy 1999).
Avec le site d'Iwelen, dans l'Aïr septentrional, nous disposons d'un repère chronologique important. Jean-Pierre Roset a pu établir une relation entre des sites d'habitat où des pointes de lance ont été découvertes lors de fouilles et une céramique retrouvée dans des tumulus à cratère voisins. Étant donné les similarités entre ces éléments d'habitat, de sépultures et de gravures, les dates obtenues à Iwelen permettent de situer l'âge de pleine expression de cette culture dans l'Aïr au Iᵉʳ et IIᵉ millénaires avant notre ère (Roset 2007), et très probablement au-delà, dans l'Adrar des Ifoghas et dans la majeure partie du Sahara méridional.
Cet ensemble semble se mettre en place à une époque où se dessine, en Aïr et au Niger, une première métallurgie du cuivre et du fer (Paris et al. 1992 ; Grébénart 1993). Ainsi, à Iwelen, la découverte de pointes de lance foliacées en cuivre, munies d’une soie d’emmanchement, aux côtés d’autres objets en cuivre, s’accompagne de zones cendreuses comportant de nombreuses gouttes de cuivre, apportant la preuve de la fonte du cuivre sur le site. De plus, selon Roset (Roset 2007), la céramique témoigne d’une véritable rupture par rapport à la céramique néolithique locale, autant par l’originalité des formes que par celle de leurs décors.
On notera également que les Peuls nomades, éleveurs de bovins en Afrique de l’Ouest, n’élèvent pas de chevaux, à l’inverse des groupes peuls sédentaires établis dans les bassins des fleuves Niger et Sénégal ainsi qu'autour du lac Tchad. En effet, le cheval est difficile à élever en contexte nomade en raison de ses besoins alimentaires en céréales et en fourrages.
L'archéologue François Paris, après Henri Lhote, a découvert dans le Sahara nigérien des restes de bovins inhumés ayant fait l'objet de dépeçage, puis reconstitués. Selon Patrick Paris, ces pratiques pourraient évoquer ce que l'on observe aujourd'hui dans le rite du « ngaanyka » (Paris 1997). Ce rituel, appelé « les taureaux de l'alliance », apparaît comme une célébration incantatoire et symbolique visant à assurer la perpétuation d'une communauté humaine solidaire, unie dans un dessein bien établi et relativement simple : rester Peuls et pasteurs. Le renouvellement de ce vœu justifie l'immolation de ces taureaux du ngaanyka ainsi que la séance de la « montre », au cours de laquelle sont récitées les différentes parties anatomiques du taureau. Ce rituel implique également le passage de femmes de tribu en tribu par les mariages teegal, suivant un cérémonial précis et une hiérarchisation des lignages qui n’apparaît pas lors des séances folkloriques organisées pour les institutions et les touristes.
Les Peuls Wodaabé
On notera que les migrations peules en direction du Niger ont débuté vers le XVᵉ siècle dans la Hausaland. Ces mouvements peuls depuis l’ouest en direction de l’est seraient liés à des causes écologiques. Devant la progression de la mouche tsé-tsé et bloqués au nord par le Sahara, les Peuls n’ont d’autre choix que de se diriger vers l’est pour atteindre des zones de savanes où la mouche tsé-tsé est absente (Servant 2022). Ils ont ainsi joué un rôle important dans la hausaïsation du territoire. En effet, les Peuls ont été extrêmement réceptifs à la culture hausa, au point qu’une nouvelle identité a émergé, constituant le groupe hausa-fulani qui parle un dialecte hausa et qui est à l’origine, au début du XIXe siècle, des djihads lancés par le réformateur Usman dan Fodio.
L'aire géographique actuelle occupée par les Peuls est très vaste, s'étendant de la bordure atlantique aux abords du lac Tchad. Où qu'ils se trouvent, les Peuls sont éleveurs de bovins. Tandis que certains groupes sont nomades, d'autres ne se déplacent qu'une partie de l'année, tandis que d’autres encore se sont sédentarisés. Ceux qui pratiquent à la fois l'élevage et l'agriculture sont sédentaires. Cette diversité des modes de vie reflète des expériences historiques variées selon les groupes et les régions (Dupuy 2011).
Les Wodaabé sont restés parmi les plus mobiles des pasteurs sahéliens. Ils sont répartis en une vingtaine de lignages primaires, regroupés en deux lignages maximaux appelés Degereji et Alijam. Il est probable que le groupe nigérien soit le plus nombreux de tous les peuplements Wodaabé connus en Afrique de l’Ouest. Il est aussi certainement le plus conservateur (Paris 1997). En 1996, les estimations faisaient état de cent mille Nigériens appartenant à la tribu des Wodaabé. Ils n’étaient que 1 500 au début du XXᵉ siècle dans la région de Tahoua, axe principal de leur infiltration au Niger (Dupire 1962). Le groupe des Peuls au Niger se compose des Fulbés ou Fulanis, des Farfarus et des Bororos, ces derniers représentant environ 70 000 nomades.
Seuls les Peuls Wodaabé ont conservé leur mode de vie nomade. La majorité des Wodaabé vivent au Niger, on peut en rencontrer à In Gall, où certains groupes possèdent un territoire dans les environs, tandis que d'autres y passent temporairement, comme de nombreux nomades à la recherche de pâturages salés lors de la transhumance annuelle de la Cure salée. Les Peuls Wodaabé pratiquent un nomadisme qui s’étend du nord du Nigeria, qu’ils quittent au début de la saison des pluies – période correspondant également au début des semailles pour les cultivateurs –, jusqu'aux pâturages salés de l’Ighazer, au nord du Niger. Après les récoltes céréalières au sud, ils peuvent retourner fertiliser les champs de céréales avec leurs troupeaux, effectuant ainsi une transhumance de plus de 1000 km.
Dans la commune d'In Gall, les Peuls de la composante Wodaabé sont principalement installés à l'ouest et au sud, où certains commencent à se sédentariser. Ils sont subdivisés en deux groupes : les Bikarawa, créés en 2002 avec 24 tribus, et le groupement Bingawa, créé en 2001 avec 14 tribus (ONG RAIL 2021). En plus des Peuls de la région, une partie importante de cette communauté, située plus au sud du pays, explore la plaine pendant la transhumance estivale. Il s'agit des Yenmawa, des Uda et des Farfaru, originaires des régions de Maradi, Zinder et Tahoua (Afane 2015).
Les Peuls nomades appartiennent à une culture distincte de toutes les autres : ils ne possèdent pas de tentes et, à la saison des pluies, ils s'enroulent dans des nattes pour se protéger. Une haie de branchages d’épineux entoure leur campement, formant un enclos contenant parfois un lit sommaire et une sorte de table où sont étalées des calebasses de toutes dimensions. La calebasse s'oppose ici à l'écuelle de bois touarègue. Le pantalon de cuir limite l'usage du vêtement en tissu, si ample et si important chez les Touaregs. Le voile de tête est souvent absent.
On ne retrouve pas chez les Peuls de diversification du bétail. Les bovins forment la quasi-totalité du troupeau : bêtes de grande taille, au fort poitrail, à la bosse saillante, aux immenses cornes en lyre, à la robe acajou foncé tirant sur le noir, autant de caractéristiques qui les distinguent des petites vaches Azawak des Touaregs, tachetées, aux cornes et à la bosse peu développées (Afane 2015). Les Peuls Farfaru sont de grands éleveurs de la race Djeli, reconnaissable par ses cornes en forme de croissant ou de lyre. Les petits animaux, ovins et caprins, comme les camelins, sont rares.
C'est un monde à part, qui vit en marge et préserve ses propres valeurs. Les vaches bororoji sont rarement croisées avec les taureaux touaregs, bien que la vache Azawak soit réputée meilleure laitière. Les quelques croisements opérés sont pratiqués avec prudence afin de ne pas altérer les caractéristiques essentielles des animaux, considérées comme des valeurs esthétiques fondamentales par les éleveurs Bororo (Bernus 1974). Comme chez les autres pasteurs nomades, les formes de solidarité sont importantes chez les Peuls, notamment avec le système du habanayé, qui consiste en un prêt de femelle bovine jusqu’à la troisième mise bas.
« Individualistes, dans une société qui ne connaît pas les hiérarchies compliquées des Touareg, ils vivent repliés sur eux-mêmes, avec leurs troupeaux de vaches aux immenses cornes en lyre, dédaigneux du monde qui les entoure. Contrairement aux Touareg, les différents groupes Bororos vivent d'une manière très semblable. Rien ne distingue un riche d'un pauvre, sinon le nombre de bovins qu'il possède. A la très grande diversité de comportements, de modes de vie et d'économies des Kel Tamacheq, les Bororo opposent une relative uniformité » (Bernus 1966).
Une sédentarité récente
Ce sont les populations les plus récentes à être arrivées dans la plaine de l'Ighazer au milieu du XXᵉ siècle, contraintes de chercher des pâturages de plus en plus au nord en raison de l'expansion de l'agriculture dans le sud du pays (Bernus 1974), mais bénéficiant également des nouvelles installations de puits et de forages mises en place par le colonisateur. Durant les grandes sécheresses des années 70, ils ont quitté l'Ighazer pour y revenir par la suite, pratiquant la nomadisation, voire se sédentarisant à partir des années 80.
Le mouvement n'est pas récent, des infiltrations dans la région de Tahoua dès le début du XXᵉ siècle, mais aussi par le Tadress et le sud d'In Gall depuis 1925, en provenance de Dakoro et de Tanout, avec près de 1000 personnes en 1948 et 3500 en 1963 (Séré de Rivières 1965). Les Bernus avaient déjà signalé la remontée des Peuls dans le nord du Niger et la présence permanente tout au long de l'année de quelques regroupements de Peuls Wodaabé, Bikarawa, Bingawa et Ruwada, totalisant moins d'un millier d'individus (Bernus 1981). Dans la région de l'Ighazer, cette stratégie se concrétise par la création de nouveaux villages tels que Tagdount, Tedbik, Tagalalt, Fidik, Alakat, Martaba (LUCOP 2006). Les Peuls, 2598 habitants, représenteraient environ 10 % de la population de la commune d’In Gall au début du XXᵉ siècle.
La création récente des groupements reconnus administrativement pour les Peuls Bingawa et Bikarawa leur permet, depuis 2001, de s'intégrer aux institutions du Niger, car ils sont encore aujourd'hui plutôt en marge de la société consumériste, notamment les éleveurs nomades. Il convient de mentionner que les différentes administrations, qu'elles soient coloniales ou nigériennes, ont toujours eu une vision assez négative des Peuls, refusant leur scolarisation, s'appropriant les pâturages et les puits à leur détriment, et cherchant systématiquement à leur imposer des contraintes fiscales (Aghali 2008).
Au cours des dix dernières années, on observe dans certaines régions du Niger une tendance des pasteurs à matérialiser leur lien avec leur terroir et à y développer de petites infrastructures, ainsi que des bases de résidence plus ou moins permanentes, favorisant ainsi des actions d'intérêt collectif. Cette évolution est particulièrement notable chez les Peuls Wodaabé, qui représentent la frange du monde pastoral la plus attachée à la mobilité et pour qui l'élevage demeure la seule activité possible.
La stratégie de sédentarisation des Peuls Wodaabé répond à plusieurs besoins concrets et pragmatiques (Hammel 2001). Elle permet d’affirmer de manière visible et physique l’occupation permanente du terroir par le groupe, car le simple passage saisonnier sur un puits ne suffit plus à garantir un droit d’usage. Elle vise également à protéger les ressources en établissant une garde permanente du puits pour éviter qu’il ne soit détruit ou accaparé par des groupes concurrents. Cette installation permet aussi de renforcer leur droit d’usage sur les points d’eau et les ressources associées. La sédentarisation répond aux fluctuations économiques en facilitant le stockage des céréales et des compléments alimentaires pour le bétail. Elle encourage les membres du groupe sans bétail à s’installer sur les terroirs d’attache afin d’assurer divers services utiles à la communauté. Elle permet aussi de maintenir une présence sédentaire qui facilite les relations administratives et juridiques, intégrant ainsi le groupe dans les institutions. Un autre enjeu majeur est la scolarisation des enfants, qui devient possible sans les couper de leur milieu social et culturel d’origine. La création d’écoles adaptées à leur mode de vie pastoral est ainsi encouragée. Cette transition vers une sédentarisation partielle ne signifie pas un abandon du nomadisme, mais une adaptation aux nouvelles réalités économiques, sociales et politiques.
Les Bingawa semblent être les plus entreprenants. Ils sont engagés dans une dynamique multidirectionnelle d'appropriation de l'espace et des connaissances. Leurs membres sont actifs dans l'artisanat et le tourisme, et ils ont également ouvert une école primaire à Fidik, leur village central, situé à sept kilomètres au sud-ouest du village de Mararaba (Aghali 2008).
Le Yaake, les yeux qui roulent
Le Yaake peut durer plusieurs heures chaque jour, pendant lesquelles les hommes dansent et chantent sous le soleil. Certains d'entre eux utilisent une astuce : ils boivent un thé d'écorce fermenté qui a un effet hallucinogène, mais qui leur permet également de danser sans relâche.
Le Gerewol est à la fois un concours de beauté et un rituel de cour dans la culture Wodaabé. Ce spectacle attire souvent des flirts et peut mener à des mariages. Dans la culture Wodaabé, la beauté occupe une place centrale et les femmes sont libres de choisir des maris supplémentaires à condition qu'ils soient physiquement attrayants, dans l'espoir d'avoir des enfants également beaux. De même, les hommes séduisants ont tendance à avoir de nombreuses partenaires. Il n'existe pas de double standard à cet égard et le rituel du Gerewol illustre leur honnêteté et leur ouverture culturelle. Les hommes Wodaabé se peignent le visage, généralement avec du rouge ou du jaune, accentué par des motifs blancs et noirs qui mettent en valeur la symétrie de leurs traits faciaux, un critère de beauté particulièrement apprécié par les femmes Wodaabé. Ils portent des tenues traditionnelles de cérémonie qui varient selon la tribu et peuvent être composées de belles étoffes colorées, de perles, de coiffures ornées de plumes et de ceintures en cuir.
Pour impressionner les juges, principalement des femmes, ils chantent et dansent en ligne, épaule contre épaule, en se balançant au rythme de chants hypnotiques. Cette performance, à la fois esthétique et rituelle, fait partie intégrante du Gerewol, célébrant la séduction et l’expression de la beauté masculine selon les critères Wodaabé. Les plumes s'envolent, les pieds frappent le sol, les cloches résonnent et les visages sont peints dans un spectacle de couleurs et de mouvements. Alors que les Occidentaux pourraient trouver ces visages étranges, pour les Wodaabé, chaque détail est un moyen d'exprimer leur beauté et leur identité. De grands yeux blancs et lumineux, ainsi que des dents éclatantes, sont des traits particulièrement recherchés et accentués par des clins d'œil, des sourires et des roulades des yeux. Ces gestes, loin d'être insignifiants, font partie intégrante de la séduction et de l'art de la danse chez les Wodaabé.
Lors de la fête officielle de la Cure salée à In Gall, ces hommes Wodaabé enchantent les spectateurs, y compris les touristes, avec leurs danses traditionnelles spectaculaires. Ce moment est également l'occasion de mariages et de la célébration du Gerewol, où la beauté, la performance et l'esprit communautaire se mêlent pour créer une expérience culturelle profonde et vibrante. Mais au-delà de la joute artistique, le Gerewol est une rencontre tribale entre les différents lignages Wodaabé, qui affirment ainsi les positions lignagères des uns et des autres, et consolident la sociétés toute entière.
Les Wodaabé appartiennent à un structure politique multicéphale qui ignore et évite le commandement supérieur. Leur histoire est celle de lutte et de fuite contre les fléaux naturels, mais aussi contre ce fléau qui tombe sur les structures sociales peu organisées sous forme de tyrannie ou d’asservissement (Dupire 1962). Leur organisation sociale peu ainsi être vu comme une réponse adaptative à ces fléaux, qui pourrait bien trouver ses origines dans l’histoire profonde de l’Afrique de l’ouest.
Références
Afane A. 2015 – La zone pastorale de l’Eghazer (Nord - Ingall - Niger) : conditions pour la mise en place d’une cogestion des ressources végétales dans le cadre d’un développement et d’une conservation durables, Thèse, Université Grenoble Alpes, inédit, 295 p.
Aghali A. 2008 – La commune d’In Gall (2) : Etudes et travaux, Lasdel, inédit, 53 p.
Amrane A. 2002 – Ethnoarchéologie et rupestres sahariens, Horizons Maghrébins - Le droit à la mémoire, 47 (1), p. 169‑175.
Bernus E. 1966 – Les Touareg du Sahel nigérien, Les Cahiers d’Outre-Mer, 19 (73), p. 5‑34.
Bernus E. 1974 – Les Illabakan (Niger) : une tribu touareg sahélienne et son aire de nomadisation, ORSTOM, 116 p.
Bernus S. 1981 – Relations entre nomades et sédentaires des confins sahariens méridionaux : essai d’interprétation dynamique, Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, (32), p. 23‑35.
Boetsch G., Ferrié jean-P. 1999 – La naissance du Peul : invention d’une race frontière au sud du Sahara, In Figures Peules, Karthala, p. 73‑87.
Dupire M. 1962 – Peuls Nomades - étude descriptive des Wodaabe du sahel nigérien, Paris, Institut d’Ethnologie, 336 p.
Dupuy C. 1999 – Les apports de l’archéologie et de l’ethnologie à la connaissance de l’histoire ancienne des Peuls, In Figures Peules, Karthala, p. 53‑72.
Dupuy C. 2011 – Quel peuplement dans l’Adrar des Iforas (Mali) et dans l’Aïr (Niger) depuis l’apparition des chars ?, Société d’études et de recherches préhistoriques des Eyzies, (60), p. 25‑48.
Gallay A. 2020 – Pour une histoire des peuplements pré- et protohistoriques du Sahel, Afrique : Archéologie & Arts, (16), p. 43‑76.
Grébénart D. 1993 – Marandet, in Vallées du Niger Jean Devisse, p. 375‑377.
Hammel R. 2001 – Terroirs d’attache des pasteurs au Niger, AREN, inédit, 28 p.
Hampaté Ba A., Dieterlen G. 1966 – Les fresques d’époque bovidienne du Tassili N’Ajjer et les traditions des Peul : hypothèses d’interprétation, Journal des Africanistes, 36 (1), p. 141‑157.
Lam A.M. 2003 – L’origine des Peul, ANKH, (12/13), p. 90‑107.
LUCOP 2006 – Monographie de la commune rurale d’In Gall.
ONG RAIL 2021 – Plan de développement communal 2020-2024 - commune rurale In Gall, Commune d’In Gall, inédit, 80 p.
Paris P. 1997 – Ga’i ngaanyka ou les taureaux de l’Alliance, Journal des africanistes, 67 (2), p. 71‑100.
Paris F., Larnicol E., Lamothe F., Gerard M., Person A. 1992 – Paleopathological observations on a neolithic human of the southern Sahara, in the Agadez region, Niger, Compte Rendu Académie des sciences, t315 (Série 2), p. 1033‑1039.
Roset J.-P. 2007 – La culture d’Iwelen et les débuts de la métallurgie du cuivre dans l’Aïr, au Niger, Paris, in Le Chalcolithique et la construction des inégalités. II, Proche et Moyen-Orient, Amérique, Afrique, Paris, Errance, p. 107‑136.
Séré de Rivières E. 1965 – Histoire du Niger, Berger-Levrault, 310 p.
Servant M. 2022 – Paléoclimatologie et Histoire des Hausas, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, inédit, 157 p.
Triska P., Soares P., Patin E., Fernandes V., Cerny V., Pereira L. 2015 – Extensive Admixture and Selective Pressure Across the Sahel Belt, Genome Biology and Evolution, 7 (12), p. 3484‑3495.