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    Le Domaine de Maranda

    Les causes climatiques mais aussi peut être l'insécurité résultant de la mise en place de nouvelles populations, le développement du commerce transsaharien, vont pousser peu à peu les métallurgistes du cuivre et du fer de la fin du néolithique à regrouper, au moins temporairement leur habitat dispersé et nomade, au profit du premier véritable centre urbain de l'Ighazer, Maranda. Ce sera le point de convergence des savoirs et savoir-faire de l'Ighazer, à l’aube de l’islam, à l’aube du commerce transsaharien. Ce mélange des genres amènera au cours du premier millénaire de nouvelles céramiques avec des décorations typiques, et surtout une augmentation de la production du cuivre, dont Maranda sera un centre d'affinage et de transformation. Des milliers de petits creusets se retrouvent sur le site, le cuivre provenant de la plaine de l'Ighazer, mais aussi du commerce transsaharien, probablement grâce à un savoir-faire particulier.

    Le domaine de Maranda est encadré à l’ouest par le monde songhay autour de la boucle du Niger qui va voir arriver vers le VIIè les Touareg Lemta qui donneront naissance à la dynastie des Dia qui traversera les siècles jusqu’à Sonni Ali Ber au XVè (Urvoy 1936). A l’est, se sont les Zaghawa qui vont fonder le Kanem près du Lac Tchad avec la dynastie de Dugawa qui tiendra le Kawar au IXè. Au nord les communautés métissées garamantiques se sont disloquées et au sud dans l’actuel Kasar Hausa se développent des communautés agricoles qui vont bientôt se réunir en cités emmurées dans un birni.

    Le début de Maranda coïncide aussi avec l’arrivée au Sahel du chameau et du dattier par les voies caravanières qui facilitent le commerce transsaharien. Ce commerce était jusque là assez réduit, il devait plus consisté en un cabotage de tribus en tribus à travers la mer du Sahara. Mais, aux environs du début du VIIIè, les berbères ibadites structurent ce commerce.


    Le cadre géographique proposé par les auteurs arabes

    marandaAl Ya’qubi en 872 nous cite les noms des Sùdan qui s’échelonnent le long de la lisière sud du Sahara, vraisemblablement d’est en ouest : « one group, the Zaghawa, the h_, the Qaqu, the Marawiyyun, the Maranda, the Kawkaw, and the Ghana, headed west. » (Cuoq 1975 ; Gordon et al. 2018).

    Les positionnements des Zaghawa, des Kawkaw et des Ghana sont bien connus, l’est du lac Tchad pour les Zaghawa, l’Aouker mauritanien pour les Ghana et l’est de la boucle du Niger pour Kawkaw. A cette époque et pas avant l’avènement de l’empire du Mali, la zone soudanaise des forêts n’est pas connue des auteurs arabes, ce sont donc des peuples qui vivent plutôt au sahel, dans une énumération faite le long d’une latitude sahélienne. Si l’on s’en tient à une énumération d’est en ouest, 4 groupes se positionnent donc entre le lac Tchad et Gao. Dans cette partie, la zone sahélienne est large, elle couvre aussi bien l’Aïr et l’Azawagh au nord et la quasi totalité du sud du Niger (pays actuel), de la Zarmaganda au Manga en passant par les Damergou et autres Damagaram, soit à l’ouest des populations plutôt songhayphones, au centre des hausaphones peut être jusqu’en Aïr et le sud Niger, à l’est des kanuriphones.

    En 903, Ibn Al Faqih relate un itinéraire de voyage de commerçant allant de Ghana à l’Égypte. « Ils disent que lorsque vous traversez la terre du Ghana, voyager vers le pays de Misr (l’Égypte), vous atteignez une nation du Soudan appelé Kawkaw, puis une autre nation, appelé Maranda, puis encore une autre, appelé Murawat, puis Wahat Misr, l'oasis d’Égypte à Maslana » (Cuoq 1975 ; Levtzion et Hopkins 1981). Cet itinéraire ne semble pas être la même voie que celle décrite 30 ans plus tôt par Al Ya’qubi, elle paraît beaucoup plus directe et semble éviter le lac Tchad. Le positionnement de Maranda fait bien suite à Kawkaw et entre l’Égypte et Maranda se place Murawat qu’il faudrait alors situer à l’est de l’Aïr, peut-être le Kawar ou le Tibesti.

    Dans la description d’Al Ya’qubi on pourrait aussi y voir non pas une voie de commerce mais deux, le HBS (H.sh.A) étant possiblement Hausa (Hamani 1989), Qaqu pourrait être le Kakou à l’ouest de Niamey (SCOA 1983), où l’or de la vallée de la Sirba a été exploitée à l’époque médiévale (Dembélé et Person 1993 ; Gado et al. 2001). Les travaux récents montrent que la zone de Kakou, Kissi, Bentyia/Kukyia, de la vallée de la Sirba, à savoir la partie orientale de la boucle du Niger, est sans doute une zone d’importance dans les voies commerciales est-ouest du premier millénaire de notre ère. Même avant l’islam, il existait déjà des commerçants entre la boucle du Niger, le Hausaland et le Yorubaland (Farias et De 2013). Ainsi une première voie se dessine passant par le Sahel sud Zaghawa/Hausa/Kakou, qui correspond aux trois premiers pays cités par Yakubi et une seconde voie passant par la limite septentrionale du sahel, Marawa/Maranda/Kawkaw, qui est aussi en accord avec la citation d’Al Faqih (confère carte). Cette dernière pourrait correspondre à la route d'autrefois d’Ibn Hawqal qui relie la basse Egypte/Zandj au Ghana et qui semble au Xé siècle abandonnée au profit de voies plus septentrionales.

    Al Yakubi a précisé aussi que les esclaves de Zawila, porte septentrionale de la voie commerciale du Sahara central passant par le Kawar, viennent de Murriyun, Zaghawiyyun, Marawiyyun (Cuoq 1975), il paraît donc préférable de positionner les Murruwiyun, Marawiyyun non loin des Zaghawiyyun, c’est à dire à proximité du lac Tchad. Sur les conseils de Joseph Cuoq (Cuoq 1975), il faut sans doute distinguer Murawat de Marawiyyun, et l’on peut sûrement rapprocher le Muriyun d’Al Yakubi du Murawat d’Al Faqih. Ainsi Murawat/Muriwyyun devrait être positionné entre Maranda et les oasis de Malsana en Egypte (Kharga et Dakhla), quand à Marawiyyun il pourrait être rapproché du roi de Thabir qui se nomme Marah qui domina un temps Qaqu. Si on a l’adéquation Qaqu/Kakou, il est possible que le roi Marah soit un roi du pays Hausa, ce qui rapproche Marawaiyyun à Maraw, royaume dépendant de Kawkaw selon Al Yakubi (Cuoq 1975). Entre ce pays et l’Aïr hausaphone à cette époque, il y a tout un no man’s land des écrits arabes médiévaux. Ibn al Nadim en 987-988 cite également les « Nuba, Bedja, Zaghawa, Marawa, Istan ?, berbères » qui positionnent les Marawa plutôt à l’ouest du Lac Tchad.

    Entre les routes latitudinales, on connaît une route longitudinale depuis les VIIIè siècle avec l’axe Lac Tchad, Kawar, Zawila, Tripoli, mais qui ne semble pas débouché sur l’Égypte mais seulement en direction de la Tripolitaine et de l’lfriqyia (Botte 2011), ancienne voie très certainement empruntées et ouvertes par les Garamantes du Fezzan.

    Parmi les plus importants royaumes dominés par Kawkwaw, il y a Maraw (Marao en Cameroun ? au sud du lac Tchad) capitale Al Haya puis MRD.H, Al Harbar, des Sanhadja, DHKRKR, Al Zayaniz, Arwar, Karut (Cuoq 1975). Je crois qu’il faille rechercher ces royaumes essentiellement au Sahara central dans une énumération sud nord entourant la boucle orientale du Niger, Maraw donc plutôt vers le pays Hausa, puis MRD.H pour Maranda, Al Harbar pour l’Abzin, des Sanhadja peu organisé puis DHKRKR pour les Tacarcary des falaises du Tassili n’Ajjer, enfin les trois derniers pouvant être situés en Ahaggar et Ifoghas.

    On notera également que Maraw signifie le nombre 10 en Tamasheq et que sa forme féminine est Marawat (Dalby 2014). Les auteurs arabes, ou leur informateurs ont pu ainsi définir un peuple d’après un mot touareg, 10 pouvant signifier 10 tribus, 10 ksour, etc.

    En 944, Macoudi décrit Maranda comme un peuple noir descendant de Cham au temps de Kawkaw, des Zaghawa et de Ghana (Mauny 1953 ; Grébénart 1993). Pour Ibn Hawqal avant 977, la ville est située à 1 mois de Gao et 2 mois de Zawila (Cuoq 1975), ce qui semble être des durées de trajets tout à fait correctes à 25 km/j de moyenne, pour situer Maranda vers l’Aïr. Par contre, le trajet vers Zawila doit se faire directement par le Kawar, c’est à dire en passant au sud de l’Aïr traversant le Ténéré pour rejoindre le Kawar et prendre plein nord vers Zawila.
    Près de deux siècles plus tard, Al Idrissi 1154, confirme le fait que la route Kawar-Maranda est encore parcourue. « Dans le même pays que Kawar est la ville de Marinda subsistant encore et très peuplée. C'est bien rarement que des voyageurs y arrivent, à cause du défaut de production et du peu d'industrie et de commerce ; elle n'est qu'un lieu de repos et d'asile pour les habitants quand ils reviennent de leurs expéditions » (Mauny 1953 ; Cuoq 1975 ; Grébénart 1993). Maranda semble décliner, peu de commerce passe par cette ville, peu d’industrie, ce qui signifierait qu’une industrie néanmoins existe ou existait ?. Que peut-on mettre sous ce terme d’industrie si ce n’est la céramique ou la métallurgie ?

    Le cadre géographique proposé par les géographes arabes, coïncide bien avec le Marandet au pied des montagnes de l’Aïr. En sus, ce cadre nous propose des voies commerciales reliant l’Égypte au Ghana et une esquisse de l’importance du trafic. D’abord, avant le IXé siècle et peut être avant les premières conquêtes arabes de l’Égypte, une voie reliant le sud de l’Égypte au Lac Tchad puis à la boucle du Niger, passant par Manam une capitale des Zaghawa au cœur des palmeraie de la dépression du Borkou. Maley et Vernet nous précise qu’à cette époque le climat est sans doute plus clément et permet justement l’installation de Manam et sans doute de suffisamment de ressource en eau pour effectuer une telle traversée à cette latitude (Maley et Vernet 2013). Ducène, citant Schubarth-Engelschall, précise que c’est des palmeraies d’Ḫāriǧa et de Dāḫila que partaient encore à l’époque ṭulunide (IXè-Xè siècle) les caravanes vers Kawkaw et Ghana (Ducène 2013).

    On se souvient que dès le VIIè Uqba ibn Nafi ne dépasse pas le Kawar et ne semble pas déceler de routes commerciales plus au sud, ni même de route vers l’ouest, ce qui semble étrange vu que cette voie jusqu’au Lac Tchad est connue à l’époque romaine. Cette voie pue s’infléchir à partir du Xè, mais peut être un peu avant, pour passer par les oasis de Koufra et le Tibesti puis le Kawar et enfin l’Aïr avant la boucle du Niger. Sans doute en relation avec l’avènement des Fatimides installés au Caire, une dernière inflexion fit passer cette route par Siwa, Zawila, qu’Al Bakri décrivait en 1068 comme une ville au centre d'un réseau de routes commerciales qui par ailleurs commerçait les esclaves avec le Kanem (Cuoq 1975 ; Mattingly et al. 2015). Dans tous les cas, ces trois voies purent très bien fonctionner ensembles, avec des importances très variables au cours des siècles.

    Citer Maranda aux côtés des Ghana, Kawkaw et ancêtres du Kanem, doit aussi nous inciter à marquer cette étape des voies commerciales comme importante pour que son nom ait autant circulé aux côtés de ceux de quelques grands empires ouest africains. On ne peut donc réduire Maranda à la petite bourgade qu’est aujourd’hui Marandet, sans restes urbains majeurs, en faisant un site archéologique assez peu étudié. Maranda devait attirer les populations au moins du sud des montagnes de l’Aïr toutes proches et de l’ensemble de la plaine de l’Ighazer, réserve alimentaire et de sel pour les hommes comme pour les animaux. Mais aussi un peu plus vers le sud et le Damergu, réserve céréalière du massif de l’Aïr. On devrait alors parler du domaine de Maranda, entité qu’il faut entendre au sens géographique mais aussi et surtout en terme de zone culturelle plutôt que d’une entité politique proprement dite, qui doit son existence à la halte caravanière que représente cette petite bourgade, qui fonctionna comme un pole d’attraction centripète avec un prémisse d’urbanité, plutôt qu’un pole de diffusion culturelle centrifuge à partir d’une urbanité bien assise.


    Les populations

    Les Zaghawa sont connus pour avoir participé à l’origine du grand empire du Kanem-Bornou autour du lac Tchad. Pour Palmer, les Garawan de races Kouchites s'étendaient de la vallée du Nil à la vallée du Niger. Ce sont les Kanuri, les Songhay et l'actuel Zaghawa Wadai. Les Zaghawa et les Garawan correspondraient aux Garamantes d'Hérodote, et probablement aussi aux Getuli des auteurs romains (Palmer 1934). Cette suggestion fait raisonner de manière particulière quelques citations des auteurs arabes dans l’historiographie. Mauny également nous prépare à une telle unité tout au long du Sahara en nous rappellant que sous le calame des auteurs arabes, Yakoubi (872), Ibn Al Faqih (vers 900) et Maçoudi (944) mentionnent Maranda comme un peuple noir descendant de Cham, avec les Zaghawa, les gens de Kawkaw (Gao) et de Ghana, habitant à l'Ouest du pays des Soudan (Mauny 1953).

    Kuwarizmi en 846 ne différencie pas Maranda et passe des Zaghawa directement à Kawkaw puis Ghana (Cuoq 1975). Al Masudi en 967, précise également après Kawkaw, le pays des Zaghawa (Cuoq 1975). Al Idrissi en 1154, mentionne des Zaghawa à TinShaman près d’Agadez (Hamani 1989). Enfin Ibn Khaldun citant les principales tribus voilés inclus les Zaghawa dans les Sanhadja aux côtés Messufa et autres Gedula.

    Si Palmer nous indique qu’à partir du VIIIè siècle ce sont les Touareg qui occupent le Sahara central, le corollaire est que les anciens habitants de cette région se sont dispersés très certainement entre Ennedi et Boucle du Niger, il n’est pas étonnant de les retrouver cités autour de Maranda durant la seconde moitié du premier millénaire. Selon Palmer, les Zaghawa sont un peuple semi-sédentaire propriétaire de bétail qui vivait dans des constructions en tiges de maïs (Palmer 1934), ce qui somme toute correspond plutôt bien à ce que l’on connaît de Maranda, sans véritables installations fixes, mais qui été tout de même un lieu de rencontre important des caravanes et des métallurgistes médiévaux.
    Les Zaghawa n’ont pas trouvé une terre vierge en Aïr, il est fort probable qu’ils rencontrèrent des Azna, mais également vers le VIIIè siècle les Igdalen et Iberkoreyan en Ighazer. Et si l’on considère que l’étymologie de Maranda est hausa (voir plus bas) on se doit d’imaginer qu’il y a également des populations hausaphones peut être peu différenciée des Azna, des Mahaldi (Beltrami 1983). Enfin, les Zaghawa peuvent aussi être le fond de berbères métissés qui encadrera en Aïr les Goberawa à l’orée du second millénaire (Sutton 1979), ils rayonneront surtout entre Fezzan, Kawar et Bornou.

    A l’ouest, c’est l’émergence dès le VIIIè de Gao Saney, ville commerçante et manufacturière en relation étroite avec la première capitale Songhay Bentiya Kukiya (Takezawa et Cissé 2012). Cuivre, fer, textile est peut être verre y sont transformés et nul doute qu’en cette fin de premier millénaire les métallurgistes de Maranda savent faire profiter de leur savoir-faire les riverains du fleuve Niger, les quelques 40 000 creusets recensés par Henri Lhote en témoignent.

    Pour Kintiba, les arguments des historiens permettent de conclure que Zas, Zaghay, Zaghawa et Zaghe font référence à une entité songhaï. Cette identification à la racine Songhaï est très importante car elle indique que le nom Za et toutes ses différentes formes enregistrées dans divers textes font référence à un seul et même ancêtre royal présumé (Kintiba 2020). Makdisi nous rapporte que les eunuques noirs viennent des pays des Zaghal et des Zaghawa et Ibn Khaldun identifie bien les Takrur, qu’il place entre Mali et Bornou, aux Zaghaï et nous confirme bien que ce sont des Zaghawa (Cuoq 1975).

    Il serait important ici de mieux décrypter ce que recouvre le terme Zaghawa dans la littérature et peut être que, selon les époques, il eut une acceptation différente pouvant recouvrir un ensemble de population habitant entre la boucle du Niger et l’Ennedi. C’est ce que nous présente Miquel lorsqu’il nous parle des trois domaines du premier climat, à la suite de Gao se trouve le domaine des Zaghawa qu’on centralise sur le Kanem et la Lac Tchad (Miquel 2013) qui s’étend loin au nord au delà de Kawar, loin sur l’est englobant l’Ennedi et le Borkou et loin sur l’ouest englobant probablement Maranda et l’Aïr, à la suite de la décadence du royaume garamantique du Sahara central.


    Le domaine culturel

    marandaLa linguistique

    Avant la venue des berbères, l’ensemble des traditions orales convergent vers une occupation de l’Aïr ou Azbin par des populations Hausa1. On parle très souvent des Gobirawa, mais on a vu qu’il y a très vraisemblablement plusieurs groupes hausaphones en Aïr et peut être même au Kawar (Hama 1967), Mattingly citant Al Bakri nous précisant que Zawila était le premier point de la terre des Sùdan (Mattingly et al. 2015).

    L’Aïr était donc probablement peuplée de hausaphones mais aussi peut être de songhayphones. Une tradition fait de la ville d’Assodé une cité fondée par un berbère Assou, neveu de la reine touarègue Tin Hinan, qui créa la ville, d’où son nom Assoudèi, le puits d’Assou (Hama 1967). Même si l’on ne discutera pas ici la véracité de cette légende et de sa chronologie vers le IVè, elle nous permet néanmoins d’envisager qu’au delà des groupes hausaphones se tenaient également peut-être plus au nord de l’Aïr et très vraisemblablement tout autour de l’Ighazer des groupes songhayphones. Des traditions font par exemple venir les Songhay du nord avec les Lemta, Boubou Hama parlant même de Songhay à l’origine mêlés aux Gobirawa (Hama 1967). Le domaine de Maranda peut donc ainsi apparaître comme la confluence de ces deux unités linguistiques, l’une plus tournée vers la boucle du Niger et le monde berbère au nord, l’autre plus tournée vers le Lac Tchad et le pays Hausa au sud. Au-delà de Maranda, c’est donc l’Ighazer qui apparaît, dans cette période médiévale, comme une zone de confluence qui voit autour d’elle graviter des populations songhayphones, hausaphones et berbérophones dont certains groupes peuvent être métissés. Cette situation devait donc prévaloir à l’orée de la conquête arabe au Maghreb et se renforcer de nouveaux apports berbères à l’orée du deuxième millénaire de notre ère. Al Idrissi mentionnant que Maranda servait de lieux de repos pour les habitants de retour d’expéditions (Cuoq 1975), le mot expédition pouvant rappeler les rezzous Touareg.

    L’organisation sociétale

    En terme d’organisation de la société, les populations hausaphones sont réputées à cette époque comme inorganisées pour signifier qu’il n’y a pas de chefferie centrale mais que le plus souvent c’est le vieux de la famille, au sens élargie du terme, qui commande sa petite communauté (Séré de Rivières 1965). Sans doute que ces groupes constituent ce que l’on appelle aujourd’hui, sous forme plutôt péjorative les Azna, une société résultant de la juxtaposition dans l’espace de communautés villageoises autarciques (Echard 1975). Ces communautés sont également païennes et ne prêtent attention qu’aux croyances de leurs ancêtres, des génies, il faut dire que l’islam ne pénétrera véritablement la région que vers le Xè siècle qui plus est en refoulant vers le sud une bonne partie de ces populations qui seront islamisées bien plus tardivement. Il faut néanmoins bien imaginer que ces populations avaient des relations entre elles, même si elles sont encore difficiles à établir, ne serait-ce que pour acquérir l’essentiel, les produits d’élevage et de culture et valoriser leur savoir-faire artisanal, métallurgique.

    L’urbanité

    Administrativement, si tenté que ce mot est un sens pour ces populations en ce lieu, il semble donc difficile de voir à Maranda une entité politique centralisée où même l’ébauche d’une organisation autour d’un centre urbain, qu’Al Idrissi qualifie à la fois de ville très peuplée, quantification très difficile à jauger, mais qui peut faire penser à une bourgade somme toute un peu importante. Le Lieutenant Prautois, qui découvrit le site en 1952, parlant d’une agglomération avec la présence d’une centaine d’ateliers (Mauny 1953), sur près de 4 hectares pour Sonja Magnavita (Magnavita et al. 2007), ce qui doit refléter quelques centaines d’habitants, disons guère plus d’un millier à l’apogée de la ville, ce qui est important pour l’époque.

    Le Lieutenant Prautois ne décèle que des surfaces d’ateliers de travail, pas d’habitation, il en conclu qu’elles sont détruites à cause du matériel employé, le banco, qui s’effrite à chaque saison pluvieuse. Néanmoins, même après plusieurs siècles ces constructions laissent le plus souvent des traces sous formes de merlon de terre, ce qui ne semble pas le cas à Marandet. Les seules villes ayant laissées des traces en Ighazer sont Azelik-Takedda et Anissaman qui elles effectivement laissent des traces, notamment parce qu’ayant des assises de murs en pierres, mais on connaît l’émergence plus tardive de ces villes par rapport à Maranda. Il est alors fort probable que la ville n’était pas faite de banco, mais plutôt de simples paillotes qui elles ne laissent quasi aucunes traces, élément également rapporté par le PAU (Bernus et Cressier 1992). D’ailleurs, les traditions orales des Gobirawa parlent le plus souvent d’un village de paillotes. On peut dès lors s’attendre à ce que celui qui vient à Marandet vient avec sa case ou la construira sur place, il est tout à fait plausible qu’il y ait eu en ce lieu différentes types de tentes en matériaux périssables formant ainsi une unité urbaine hétéroclite.

    Le domaine de Maranda s’exprime donc dans cette confluence de culture qui se marie aussi bien avec l’absence de construction en dur et l’absence d’un pouvoir centralisé, l’un matérialisant l’autre. L’émergence d’un pouvoir central se fera plus tard avec l’avènement du royaume berbère de Tigidda et l’exode vers le sud d’une partie des populations notamment hausaphones. Maranda représente donc un début d’urbanisme qui voit le développement de petites communautés fournissant divers services à l’arrière pays et aux caravanes qui passent.


    Maranda capitale des Gobirawa

    1952 maranda prautoisLes traditions orales font de Marandet une ville fondée par les Gobirawa, même si dans ces traditions la filiation des capitales laisse perplexe quant à sa chronologie, beaucoup de lieux sont cités avec néanmoins une tendance à aller d’abord de l’Aïr et d’Agadez en particulier vers le sud, Goram Ramé ou Gamram dans le Damergou, Tora près de Tessaoua puis vers le sud-ouest Birni Lallé, Keita et Tahoua (Hama 1967 ; Hamani 1989). Entre ces deux orientations, il y a des passages en Ighazer vers Marandet et Telguinit. S’il n’est pas invraisemblable que Maranda fut l’une des capitales Gobirawa, ce ne peut être que vers le XIIè, époque où la reine Tawa établit l’État Gobirawa pouvant ainsi lui donner une capitale. Si les fondateurs de Maranda sont Gobirawa, dont l’apogée est tardive vis à vis de la datation du site, il faut plutôt entendre comme fondateurs les hausaphones présents dans cette zone et non encore organisés avant l’épopée de la reine qui apporta l’organisation étatique.

    Dans les pourtours sud de l'Aïr, les hausaphones ont fondé de nombreuses villes. Maranda en était la plus importante en 650 (Hamani 1989). Les datations carbone 14 de Henri Lhote nous montrent que le site de Marandet, pour sa période métallurgique des creusets, fut occupé du VIIè au Xè siècle au moins (Lhote 1972). Magnavita précise qu’elle dispose de nouvelles datations qui sont comprises dans cette plage de dates (Magnavita et al. 2007). On peut par ailleurs étendre la période d’occupation de Maranda au moins à la première moitié du XIIè siècle selon Al Idrissi, qui décrit une Maranda déclinante.

    L’on ne sait pas grand-chose de la fin de Maranda. La tradition orale relate que les Touareg la détruisirent et les Gobirawa s'expatrièrent dans le sud pour fonder Maradi vers 1200 (Lhote 1972). Hors c’est à cette époque qu’à pu émerger l’État des Gobirawa, et Mamadou nous précise que les Gobirawa sont encore le plus important peuple de l'Azbin et qu’ils occupent encore Agadez vers 1402 puis émigrèrent vers Telguina puis Maranda, encore un centre politique et économique important (Mamadou 1992).

    Pour Bernus et Cressier l’abandon de la bourgade est un processus de transformation par des phénomènes cumulatifs : amélioration des conditions climatiques, métallurgie moins rentable à Maranda, afflux de population nouvelles, décadence de la voie du Koufra (Bernus et Cressier 1992). Abandon qui fut fait au profit du royaume naissant de Tigidda auprès desquels les Gobirawa se rangèrent et durent perdurer jusqu’à la décadence de ce même royaume au milieu du XVè. Saley se range dans cette vue : « sous la pression écologique d'une part et, l'arrivée des Touareg, eux-mêmes bousculés par l'invasion hilalienne de l'autre, une partie de la population autochtone entreprit un mouvement de migration vers le sud » (Saley 1996). On se souvient également qu’Al Idrissi place Marinda dans le pays de Kawar (Cuoq 1975), ce qui doit évoquer que vers le XIIè ce sont plutôt les grands voisins qui dominent le domaine de Maranda.

    En définitive, la non continuité entre les céramiques de Maranda et celles d’Azelik, nous indique que les population de l’une ne sont pas celles de l’autre (Bernus et Cressier 1992). Il est donc tout à fait plausible que les Touareg écrasèrent ou plutôt pillèrent la bourgade de Maranda et ses familles sans véritable chefferie au XIIè, poussant les métallurgistes à émigrer vers le sud ou le sud-ouest. Par contre, il n’est pas impossible que l’élite des Gobirawa et certains groupes détenteurs de savoir-faire métallurgiques, perdurèrent aux côtés du nouveau royaume de Tigidda. Cela signifierait également que les métallurgistes de Maranda n’étaient pas forcément inféodés aux Gobirawa, mais formés un groupe social bien identifié. Ce pourraient être des Azna, qui émigrèrent en Ader par petits groupes (Adamou 1979 ; Salifou 1991), que Boubou Hama considèrent comme encadrés par les négro-berbères Gobirawa (Hama 1967).

    Il existe un autre site de sédentarité près de Maranda qui serait Tin Shaman, nom du puits qui fonda par la suite la ville d’Agadez. Al Idrissi au XIIè nous la décrit, ce sont des Saghawa qui vivent au pied d'une montagne appelée Luniya (Aïr ?), ce sont des nomades éleveurs de dromadaire très fécond, la description faisant penser à l'ouest de l'Aïr d’où descend des oued qui disparaissent dans l'Ighazer, il y a une ville ou grosse bourgade Sham, pour Cuoq peut-être Tin Shaman à 150km au nord d'Agadez. Ils font des tissages en poil de chameau pour les tentes, ils mangent lait, viande et beurre ce qui ne nous fait pas douter que ce sont des touarègues déjà installés dans la région (Cuoq 1975).


    L’étymologie du nom

    Maranda signifierai henné en Hausa, un arbuste épineux dont les feuilles réduites en poudre produisent une teinture corporelle ainsi que pour le textile, on la nomme plus sûrement « lallé » en Hausa qui donna son nom à l’une des capitales Gobirawa, Birni Lallé la ville du hénné (Hamani 1989), cité près de laquelle on trouve le tombeau de la reine des Gobirawa. Mais aucune trace de culture n’a été retrouvée à Maranda et l'utilisation de la forme henné ne semble plus utilisée dans le langage actuel.

    Par ailleurs, « randa » signifie le canari2 en hausa, cette jarre dans laquelle on met l’eau de boisson, ce qui amène un lien évident entre cette réserve d’eau et la halte caravanière que fut Marandet, bien située comme point d'eau (Mauny 1953). Maranda pourrait signifier le lieu du canari, il serait par ailleurs plutôt d’usage vers l’Ader entre Tahoua et Maradi, région historiquement très liées avec l'Aïr.

    Enfin, l’expression hausa « randa ka zo - le jour que tu es venue » ou « randa za ka tahi - le jour où tu vas partir », pourrait également convenir à cette étape du commerce transsaharien, où l’on arrive et repart à coup sûr.

    Si l’on retient une étymologie Hausa pour Maranda, cela renforce bien évidemment le lien entre les hausaphones et le site de Marandet et il faut convenir alors que très tôt les falaises de Tiguidit sont hausaphones ou tout du moins ceux qui se sont sédentarisés ou ont œuvré à Maranda.


    L’industrie du cuivre

    1972 maranda lhote01Sur les conseils de Raymond Mauny, le Lieutenant Prautois découvrit sur le site de Marandet en 1952, les restes d’ateliers de la métallurgie et aux bords de l’oued des milliers de petits creusets en terre réfractaire (Mauny 1953). Il n’y retrouve aucun morceau de fer mais des éléments cuivreux au fond des creusets ainsi que des barres de cuivre ou lingots. En 1972, Henri Lhote y excava 42 500 creusets mais aussi des moules de lingots, ces fouilles permirent surtout de dater ces installations entre les VIIè et Xè (Lhote 1972). Cette quantité de creusets est l’un des faits les plus singulier en Afrique de l’ouest car aucun site archéologique n’en a retrouvé une telle abondance. Quelle pouvait être la fonction de ces dizaines de milliers de creusets ?

    La première qui apparaît évidente est la fonte du cuivre que l’on retrouve en différents points de l’Ighazer et le long des falaises de Tiguidit, cuivre natif dans un engobe de dolomite qui affleure çà et là en Ighazer et le long des séries gréseuses entre Aïr et Ighazer. L’utilisation de ce minerai est par ailleurs attestée au moins du premier millénaire avant notre ère (Grébénart et Poncet 1985). Mais, outre le fait qu’il n’y ait pas de mine véritable aux pieds des falaises de Tiguidit, la production locale semble bien mince pour sortir de cette quantité de creusets et assouvir les besoins importants en cuivre de la Nigeria. En sus, à Marendet et à la différence d’Azelik/Takadda on n’a pas de traces de sites de concassage du minerai avant traitement qui signifie donc que le minerai arrivé sur site près à être fondu dans les creusets.

    Dans les années 80, Danilo Grébénart étudie le site et fouille un grand nombre de fosses aujourd’hui complètement arasées par le déferlement saisonnier du kori. Il en confit les analyses des résidus de métaux à Bourhis qui précise que les creusets ont servi une métallurgie de transformation, soit pour fondre le cuivre pour le mélanger à d'autres éléments, soit pour le purifier de son plomb. Pour Castro, les creusets examinés ont essentiellement servi à la fusion du cuivre. Mais, fait intéressant, ils n'ont pas simplement eu un rôle de réceptacle, ils ont aussi servi à affiner le métal de ses impuretés, et en particulier l'ont débarrassé de son plomb (Castro 1974). Mais comme dans les objets de la métallurgie du cuivre néolithique il n’y a pas de Plomb, il est fort probable que ce minerai est différent de celui que l’on trouve localement que ce soit pour faire un alliage Cu/Pb ou purifier le cuivre de son plomb (Grébénart et Poncet 1985). Pour Nicole Echard, au vu des analyses de Bourhis, l’hypothèse la plus plausible est que les creusets ont servi à fondre un alliage de Pb/Cu (Echard 1983).

    Les analyses isotopiques de Willet montrent qu’à Marandet on retrouve différents alliages de cuivre, à base d’étain de zinc ou de plomb, formant ainsi des bronzes et des laitons. Aucune trace stratigraphique n'ayant été conservée, il n'est donc pas certain qu'ils aient tous été utilisés à une même époque. Les analyses de Willett suggèrent, à la suite de Grébénart, que le cuivre des creusets ne provient d’aucune des productions connues de cuivre en Afrique et Europe, de sorte qu’il nous fait imaginer qu’à Marandet se produisait une transformation de cuivre ayant diverses origines. D’ailleurs les formulations isotopiques décelées à Marandet sont très diverses et donc renforce cette idée avec sans doute l’incorporation du cuivre natif de l’Ighazer (Joel et al. 1995).

    En 2006 et 2007, de nouvelles équipes se penchent sur le cas de Marandet et de nouvelles études et analyses sont proposées. Les analyses des lingots de cuivre sont très différentes des analyses des échantillons des creusets, de sorte que l'on peut, au moins, confirmer que du métal provenant de plus d'une source a été récupéré à Marandet (Willett et Sayre 2006). Grébénart est l’un des premiers à avoir émis cette hypothèse de cuivre importé d’Europe par le commerce transsaharien (Grébénart 1993), à destination du pays Yoruba dont la demande excède très fortement les possibilités de production de l’Ighazer. En sus, il apparaît que les bronzes de Ifé et de Bénin comportent du plomb que l’on ne retrouve pas à Igbo Ukwu, rapprochant ces sites de notre Maranda.

    Hudud al Alam en 982-3 nous indiquent que les marchands d’Égypte exporte vers les Zaghawa du sel, du verre et du Pb contre de l'or, signalant qu’outre le commerce du cuivre, il y avait aussi un commerce du plomb depuis l’Égypte (Cuoq, op. Cit.). Benjamin de Tudela, qui est mort en 1173, mentionne Zuwīla comme l'une des nations dont les marchands s'étaient établis à Alexandrie et décrit également les marchands de Helwan, près du Caire, qui partaient avec du cuivre, du grain, du sel, des fruits et des légumineuses et revenaient avec de l'or et des pierres précieuses (Mattingly et al. 2015). Enfin, Al Bakri en 1068 signale l’importation de cuivre, de sel, des cauris à Kugha (= Bentia/Kukiya dans l’est de la boucle du Niger) (Cuoq 1975).

    L’archéologie par ailleurs, établie bien des relations du site de Marandet avec l’Afrique du nord dont l’Égypte, par la découverte de fragments de récipients en céramique tournée, de noyaux de dattes, de fragments d'objets en verre ainsi que des perles de verre. Mais aussi le Tibesti par l’amazonite, et très certainement la région du Lac Tchad par certains décors de céramique et de la cornaline. Le commerce de marchandises semble toutefois allait dans un seul sens, car de la boucle du Niger peu de matériel est actuellement inventorié (Magnavita et al. 2007), les produits d’exportation étant plus sûrement l’or que l’on ne laisse pas traîner ! Néanmoins, les analyses isotopiques du cuivre du site de Kissi au Nord du Burkina Faso, entre Kakou et Gao, montrent certaines similitudes et l’on doit convenir de l’existence de relation entre Kissi et Marandet et au delà avec l’Afrique du nord et l’Ifriqyia (Fenn et al. 2009). Insoll également tente de rapprocher les industries du cuivre de Maranda et de Gao Saney par des ressemblances entre les lingots de cuivre qu’il a trouvé et les moules inventoriés par Henri Lhote à Marandet (Insoll 1997).

    Ainsi, les besoins en cuivre de la zone forestière étaient probablement couverts par des cuivres venant d’un peu tous les horizons. De l’Égypte sûrement, soit en direct soit par des intermédiaires comme Maranda, de l’Ifriqyia vers Maranda ou la boucle du Niger en intermédiaire. Mais si la vocation transsaharienne d’une partie du cuivre destiné à assouvir la demande de la forêt nigériane ne fait que peu de doute, ainsi que celle du plomb pour en faire des alliages, il n’en demeure pas moins une énigme sur le type de transformation faite à Maranda, fabrication de laiton au plomb, purification du cuivre de son plomb (Grébénart 1993), fabrication d’alliages selon une demande spécifique, etc. Une autre hypothèse pourrait faire de Maranda un centre de recyclage du cuivre avec des creusets différents (Bernus et Echard 1992), bien qu’au vu des voies commerciales que l’on connaît, on ne comprend pas pourquoi le cuivre passerait par Maranda, surtout durant les premiers siècles de l’Hégire, car il n’est pas attesté de communications régulières, par le Sahara central. Il pourrait alors s’agir d’un savoir-faire particulier recherché en ces lieux, issu des traditions métallurgiques post-néolithiques, amené ou ramené par des populations qui à la faveur de l’amélioration climatique du début de VIè siècle (Maley et Vernet 2013), on pu se réinstaller au pourtour de l’Ighazer.

    Quoi qu’il en soit ce savoir-faire ne résista pas à la fin de Maranda et ne fut pas exporté vers les métallurgistes de Tigidda. En effet, on a déjà vu qu’il n’y a pas de continuité dans la céramique entre Maranda et Tigidda (Bernus et Cressier 1992), mais il n’y en eu pas non plus dans le travail des alliages de cuivre qui semble inexistant à Azelik/Takadda. A des dizaines de milliers de creusets emplissant des fosses à Maranda, ne correspondent que quelques creusets sur des ateliers à l’intérieur des maisons à Azelik/Takadda, car en ce lieu seul le traitement natif du cuivre de l’Ighazer semble avoir été pratiqué.

    Une cause de disparition de ce savoir-faire pourrait être les besoins énergétiques. Les milliers de creusets de Maranda nécessitèrent sûrement beaucoup de charbon de bois pour traiter le minerai local et celui d’importation, alors que sur Tigidda, après un concassage efficace et n’ayant que le minerai local à traiter, de plus faibles quantités de charbon furent nécessaires en concordance avec ce que l’environnement immédiat était en capacité de fournir. Les vicissitudes politiques durent également jouer et il n’est pas impossible non plus que le savoir-faire fut perdu ou inutile, voir déplacé dans un autre lieu.

    En particulier, dans les villes manufacturières comme Tegdaoust, mais surtout Gao où lingot de cuivre et de laiton ont été excavés, différents de part leur composition de ceux de Maranda, avec la présence de moules et creusets ayant servi à faire des mélanges de Cu/Pb et Laiton/Pb (Claudette Wanacker in Echard 1983). Maranda, au-delà du nouveau changement climatique aride du XIè siècle, a pu aussi disparaître faute de pouvoir rivaliser avec les cités manufacturières sahéliennes qui au XIè-XIIIè siècle sont à leur apogée métallurgiques et surtout organisées en centre urbain ce que ne sera jamais Maranda.


    Qui sont les métallurgistes de Maranda ?

    En Ader, le forgeron, comme dans la société touarègue d’ailleurs, possède une certaine liberté et offre ses services à la communauté qui lui convient le mieux. On est ici sur une relation d‘interdépendance entre les communautés, chacun ayant besoin de l’autre pour affirmer sa place dans la société. Dans toutes les sociétés voisines, les forgerons ont donc un particularisme qui par exemple en Ader se traduit par le terme générique « makeras » qui n’a pas de porté identique à celle de cultivateurs ou de chasseurs car ils ne peuvent fonder de village (Echard 1975). Les seuls villages qu’ils construisent sont ceux temporaires où ils se regroupent pour pouvoir faire les opérations collectives de fonte du minerai. On distingue ainsi les forgerons noirs, c’est à dire qui savent fondre le minerai pour en récupérer le métal et les forgerons blancs qui ne font que travailler le métal et non l’extraire.

    Si des fours de fonte du cuivre sont attestés en Ighazer, leurs périodes d’utilisation ne correspondent pas avec la chronologie de Maranda et au vu de la quantité de creuset retrouvée à Maranda, s’il avait été produit en masse localement des fours de fonte auraient été vraisemblablement repérés par les équipes du PAU. De la même manière s’il avait été utilisé le cuivre dolomitique de l’Ighazer, on aurait retrouvé sûrement un minimum de trace des cupules de broyages retrouvées en masse à Takedda.

    Dès lors, les forgerons des creusets de Maranda étaient sans doute plus des forgerons blancs travaillant le métal pour des usages spécifiques à partir d’un métal en grande partie d’exportation. Les usages locaux pouvaient peut être satisfaire un besoin local qui reste somme toute à identifier, mais aussi un besoin d‘exportation vers les contrées demandeuses de métal rouge à la Nigeria. Aujourd’hui en Ader les forgerons noirs se retrouvent d’ailleurs plus dans les communautés issu de l’Aïr signalant ainsi que durant toute la période médiévale jusqu’à nos jours l’Aïr et l’Ighazer ne possèdent pas de véritables savoir-faire quant à la fonte des minerais métalliques en général, ce qui se retrouve bien aujourd’hui dans le savoir-faire des forgerons touarègues tous blancs.


    Esquisse d’une chronologie

    Le commerce transsaharien se développe avec le chameau vers le IVè3, mais on peut douter qu’il fut aussi précoce en Ighazer, le conquérant Uqba Ibn Nafi ne dépassant pas le Kawar au VIIè. Néanmoins, l’occupation du site est attestée par une datation carbone du Ivè siècle de notre ère, mais non en relation avec l’industrie du cuivre.

    Du IVé au VIIIè siècle, la voie commerciale partant de basse Égypte, peut être même de Nubie, par le lac Tchad due être privilégiée, notamment pour le commerce des esclaves. Le cuivre, le plomb, le sel ou des étoffes devaient en être des produits d’échange. Maranda est un point d’eau important qui attire au moins ponctuellement et sans doute de manière saisonnière à la période des caravanes, la population alentour qui tente de se faire une place dans les transactions commerciales.

    A partir du VIIIè-IXè siècle arrivent en Ighazer de nouvelles populations, des berbères Igdalen mais ils ne semblent pas avoir porté sur le jeu politique ni même sociétale de la zone. On notera néanmoins une prédominance d’un parlé ancien à base Songhay dans leur langage, la Tagdalt qui ne peut leur donner qu’une relation étroite avec les songhayphones très certainement avant leur arrivée en Ighazer lors de leur passage par la boucle du Niger.

    A cette époque et sans doute même avant, Maranda est à la croisée d’influences hausaphone, kanuriphone, songhayphone et berbérophone, influences qui ne quitteront plus l’histoire de la plaine de l’Ighazer.

    Au IXé et Xè siècle les voies commerciales passent par le Koufra et le Kawar pour rejoindre la boucle du Niger via le Kawar et Maranda, mais sont de plus en plus rendues dangereuses tant par les aléas climatiques que l’insécurité. A partir du Xè-XIè siècle des populations berbères vont venir de l’ouest et d’autres métissées de l’est, avant, à partir du XIIè de voir arriver des populations berbères par le nord, bousculées qu’elles sont par les remous du Maghreb. La géographie politique en sera bousculée, et le domaine de Maranda qui n’a pas réussi à asseoir une urbanité et donc un pouvoir un temps soit peu centralisé, s’effacera devant les autorités berbères naissantes et remuantes.

    Vers la fin du XIè, les Fatimides au Caire cherchant de nouveaux accès sur l’or du Ghana, les invasions hilaliennes au Maghreb et la poussée Almoravides occidentales incitèrent à développer les voies commerciales par Zawila et le Kawar, mais bientôt également par le Sahara central touchant ainsi plus directement l’or de la boucle du Niger. Le cuivre était l’un des produits du troc, il permit aux métallurgistes de Maranda d’exprimer et de mieux valoriser leur savoir faire en la matière. Cette période est sans doute l’apogée de la transformation du cuivre à Maranda.

     

    1. peut être devrais-je parler de proto-hausaphone et proto-songhaypone
    2. cette traduction m’est donnée par mon épouse qui vécut ses premières années vers Badaguichiri en Ader au sud de Tahoua, et confirmée par quelques locuteurs hausa.
    3. ce qui ne signifie pas qu’il n’y avait pas d’échange transsaharien avant !

     


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