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    L'exploitation du sel

    Tegidda n’Tesemt n’est très vraisemblablement pas le premier site d’exploitation du sel en Ighazer. Gélélé à 12 km au nord-nord-est, où l’on retrouve également des ateliers de cuivre, a précédé les salines de Tegidda n’Tesemt (Bernus et Cressier 1992). Il semble en effet que le sel et le minerai de cuivre se combinent à haute température pour former du chlorure de cuivre, qui se solidifie en cuivre métallique au contact du coke (Vikør 1999). L’extraction du sel (tesemt) et du natron (uḳsem) se fait aussi de façon traditionnelle au niveau des villages d’Azelik (pour le natron), de Tegidda n’Tesemt et de Tadekalt (pour le sel) (Afane 2015).

    A Tegidda n'Tesemt, les sources, puisqu’il y a en fait plusieurs sources, sont issues de failles dans un affleurement gréseux d’où source une eau saumâtre à 4-5g de sel par litre, impropre à la consommation humaine (Bernus 1981). Bernus et Lambert avant lui ont décrit le processus de fabrication des pains de sel, typiques par leurs formes et leur couleur rougeâtre (Lambert 1935 ; Bernus et Bernus 1972 ; Bernus et al. 1976). La qualité du sel de Tegidda est moindre que celle de Taoudéni, mais supérieure à celle de Bilma, bien qu’il y ai différentes qualités dans la Kawar (Cortier 1909).


    L'économie du sel

    Dés le début de la colonisation française, le sel sera objet de taxes, mais cela était déjà le cas avant, le Sultan d’Agadez prélevant une part de l’impôt en nature, même si les turbulents Kel Fadey s’employèrent à prélever ce dut du Sultan depuis leur arrivée en Ighazer. Ils ne cessèrent effectivement de razzier et houspiller les sauniers, obligés de se terrer dans leur maison dont l’entrée été comme une chatière où l’on entrait en rampant, limitant ainsi très fortement la rentabilité économique de l’exploitation (Jean (Lieutenant) 1909). La taxe était en 1912 de 70 centimes de francs pour 100 kilogrammes de sel. Les niveaux de production relevés sont très variables, de 100 à 600 tonnes par an, révélant la difficulté de contrôle de cette production.

    AnnéeTonnageSource
    1909 125 → 5000 barres de 20-25 kg (Lovejoy 1986)
    1909 600 → barres de 30 à 35 kg (Lovejoy 1986)
    1915 139 (Lovejoy 1986)
    1925 600 (Lovejoy 1986)
    1929 227 (Gouvernement de l’AOF 1931)
    1960 400 → 700 unités (Lovejoy 1986)
    ? 150 tonnes par de sel (Chauvot de Beauchêne 2002)

    A Gélélé, l’exploitation a étéi très différente de celle de Tegidda n’Tesemt, puisqu’il n’y avait pas de propriété du site, comme pour l’eau du puits celui qui l’extrait l’utilise (Bernus et al. 1976), alors qu’à Tegidda n’Tesemt l’exploitation des salines se fait par des propriétaires qui ont délimité leur zone de travail comme on délimite un jardin. Cette différenciation est aussi sans doute liée à l’usage fait de ces sels, puisque celui de Gélélé pouvait très certainement servir le processus de purification du cuivre, alors que celui de Tegidda n’Tesemt est d’usage essentiellement de sel à lécher pour les animaux, mais convient bien aussi pour un usage de table.


    Le process d’extraction

    L’exploitation couvre une surface totale de 9 hectares, mais les salines se concentrent sur la moitié de cette surface. Une famille peut travailler un ensemble de près 80 tarsiyo (bassin d’évaporation) avec 3 à 5 abatols (bassin de préparation), ce qui fait que les salines doivent contenir plusieurs milliers de tarsiyo encore difficile à dénombrer par les images satellites disponibles librement. Les habitants de Tegidda n'Tesemt répètent les même gestes, vieux de plusieurs siècles, pour extraire le sel des sources salées.

    La construction des abatols
    Après chaque saison des pluies (Juillet-septembre), il faut reconstruire les abatols endommagées par la pluie. Cela se fait à partir de terre glaiseuse, une fois séchées et durcies elles pourront recevoir l'eau salée. La grande abatol est dite améli, l’étalon du chameau ou encore la partie mâle du dattier, désignant ainsi les bassins salants « mâles » qui sont les bassins principaux de première concentration du sel. Ils se vident dans des abatols « femelles » qui l’entourent (tshidangazen) (Gagnol 2009)c.

    Le lavage de la terre
    L'eau des sources est salée, mais elle sera encore chargée du sel de la terre avoisinante (les argiles rouges de l'Ighazer). L'opération se fait dans la grande abatol que l'on rempli d'eau et de terre, ensuite une personne piétinera simplement la gadoue pour faciliter le transfert du sel à l'eau. On laisse reposer cette mixture 2 à 3 jours puis on prélève l'eau délicatement pour la déverser dans les petites abatols.

    Le travail solaire et la mise en boîte
    Le soleil commence alors son œuvre d'évaporation, et rapidement une croûte de sel se forme en surface. On asperge régulièrement d'eau salée cette croûte pour la casser et laisser s'évaporer l'eau. Lorsque l'abatol ne contient plus que du sel encore humide, on commence à le façonner en différente forme spécifique à un type de transport.

    Les pains de sel portent ici des noms différents de ceux utilisés à Bilma : ils sont appelés Taghalt (un parallélépipède de 20 x 10 cm), Fagfago (40 x 10 cm), Afassas (1 mètre x 40 cm), Cerabango (un triangle de 40 cm de côté). L'exploitation se fait pour les bassins de décantation et d'évaporation pendant la saison sèche, car la saison des pluies ne permet plus l’évaporation de l’eau salée et impose une migration des contremaîtres, des ouvriers et des travailleurs vers In Gall. Les pains sont vendus localement à des caravanes ou transportés à In Gall où résident le plus souvent les propriétaires des salines (Beltrami 1982), ou échangés durant la cure salée contre les céréales venues du sud.

    Le transport
    Les chameaux sont les rois du transport saharien, mais aujourd'hui chaque occasion est bonne, fraudeur d'Algérie ou simple passant, pour livrer la production à la famille d’In Gall qui la commercialise. Une part est néanmoins commercialisée sur place notamment par les chameliers Kel Gress qui organise chaque année des caravanes (Renaud 1922), mais aussi les Iberogan venus en cure salée échanger le sel contre du mil et autres étoffes. Une partie est également exportée vers l‘Ahaggar qui amène en échange dattes et produits des palmeraies.

     


    Références

    Afane A. 2015 – La zone pastorale de l’Eghazer (Nord - Ingall - Niger) : conditions pour la mise en place d’une cogestion des ressources végétales dans le cadre d’un développement et d’une conservation durables, Thèse, Université Grenoble Alpes, inédit, 295 p.
    Beltrami V. 1982 – Una corona per Agadès : Sahara, Air, Sahel, Roma, De feo editors, 266 p.
    Bernus S. 1981 – Relations entre nomades et sédentaires des confins sahariens méridionaux : essai d’interprétation dynamique, Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, (32), p. 23‑35.
    Bernus E., Bernus S. 1972 – Du sel et des dattes : introduction à l’étude de la communauté d’In Gall et de Tegidda-n-tesemt, Études Nigériennes no 31, IRSH, 130 p.
    Bernus S., Cressier P. 1992 – Programme archéologique d’urgence 1977-1981 : 4- Azelik-Takedda et l’implantation médiévale, Études Nigériennes no 51, IRSH, 390 p.
    Bernus S., Gouletquer P., Kleinmann D. 1976 – Die Salinen von Tegidda-n-tesemt, EAZ Ethnogr.-Archäol, p. 209‑236.
    Chauvot de Beauchêne G. 2002 – Le sel au Sahara, in Ithyphalliques, traditions orales monuments lithiques et art rupestre du Sahara : Hommage à Henri Lhote, AARS, p. 83‑92.
    Cortier A. 1909 – Teguidda N Tisemt, Bulletin de la société de géographie, 20, p. 159‑164.
    Gagnol L. 2009 – Pour une géographie nomade. Perspectives anthropogéographiques à partir de l’expérience des Touaregs Kel Ewey (Aïr – Niger), , Université de Grenoble I, inédit, 723 p.
    Gouvernement de l’AOF 1931 – La Colonie du Niger : exposition coloniale internationale de Paris, Larose.
    Jean (Lieutenant) C. 1909 – Les Touareg du Sud-Est : l’Aïr ; leur rôle dans la politique saharienne, Larose Editions, 361 p.
    Lambert R. 1935 – Les salines de Teguidda n’Tessoum, Bulletin du comité d’études historiques et scientifiques de l’AOF, 18 (1), p. 366‑371.
    Lovejoy P.E. 1986 – Salt of the desert sun: a history of salt production and trade in the Central Sudan, African studies series no 46, Cambridge [Cambridgeshire] ; New York, Cambridge University Press, 351 p.
    Nicolaï R. 2023 – Le caravansérail de la vie - Contes et récits sahélo-saharien, L’Harmattan, 246 p.
    Renaud L. 1922 – Étude sur l’évolution des Kel Gress vers la sédentarisation.
    Vikør K.S. 1999 – The oasis of salt: the history of Kawar, a Saharan centre of salt production, Bergen studies on the Middle East and Africa, Bergen, Norway, Centre for Middle Eastern and Islamic Studies, 342 p.