Écriture millénaire, le Tifinagh est utilisé par les Kel Tamasheq (ceux qui parle la Tamasheq) pour écrire de courts textes, le plus souvent sur des rochers, laissant ainsi une information de leur passage à ceux qui savent lire ces signes qui est le sens du mot Tifinagh (Bernus 1972). Ces inscriptions alphabétiques indiquent clairement que ce sont des berbères qui en sont les détenteurs puisque les textes commencent souvent par |: = nak = moi (Dupuy 1993). Ces caractères sont très difficiles à déchiffrer pour qui ne connaît pas parfaitement la langue Tamasheq, notamment à cause de l'absence de voyelle. Ce sont les mères qui apprennent cet alphabet aux enfants touarègues, en dessinant les lettres dans le sable. C’est sans doute même parce que l’arabe n’est pas appris par les femmes touarègues que les Tifinagh ont pu perdurer jusqu’à nos jours (Dalby 2014), mais jusqu’à quand ?
Le Tifinagh
Notre écriture à nous, en Ahaggar est une écriture de nomades parce qu'elle est tout en bâtons qui sont les jambes de tous les troupeaux. Jambes d'hommes, jambes de méhara, de zébus, de gazelles, tout ce qui parcoure le désert et puis les croix disent si tu vas à droite ou à gauche et les points, tu vois, il y a beaucoup de points. Ce sont les étoiles pour nous conduire la nuit, parce que nous, les Sahariens, nous ne connaissons que la route, la route qui a pour guide, tour à tour, le soleil puis les étoiles, et nous partons de notre cœur, et nous tournons autour de lui en cercles de plus en plus grands, pour enlacer les autres cœurs dans un cercle de vie, comme l'horizon autour de ton troupeau et de toi-même (Dassine Oult Yemma, musicienne et poétesse de l'Ahaggar, Hachid 2001).
La pratique de cette écriture berbère a disparu au nord de l'Afrique, vraisemblablement à la fin de la domination romaine, vers le Vè siècle de notre ère, même si dans l’Atlas saharien cette pratique a perduré après la période romaine. Cet alphabet libyque ne s'est aujourd’hui conservé que dans le groupe des Berbères Touaregs du Sahara et du Sahel. Les Touaregs attribuent l’invention de leur écriture à un héros fondateur, Amamellen (qui signifie "celui qui possède la clarté") ou Aniguran. Le fait que ces inscriptions soient lues entièrement, partiellement, ou qu’elles échappent à tout déchiffrement est significatif de la variété des signes et de leur évolution à travers le temps. On peut noter que même les plus anciennes écritures cunéiformes et hiéroglyphiques font de l’écriture un don divin.
Généralement, on attribue la naissance des premiers alphabets aux Phœniciens qui, vers l’an 1000, l’utilise et le diffuse par leurs voies commerciales méditerranéennes, et rapidement on fait du lybique une émanation du punique. Stéphane Gsell devait protester, considérant que si le lybique et le punique présentent, certaines ressemblances, les caractères puniques sont généralement cursifs et se présentent horizontalement alors que dans le libyque, ils sont anguleux et géométriques, et placés verticalement pour les plus anciennes. Et Salem Chaker fait remarquer que le libyque apparaît partout tel qu'on le connaît dans son aspect géométrique sans être précédé de stades intermédiaires qu'on ne possède pas, stades qui pourraient représenter une transition ou une évolution progressive du libyque à partir d'un modèle phénicien ou punique (Hachid 2001).
L’écriture libyque a ainsi pu apparaître après une longue gestation à travers l’art géométrique que l’on reconnaît dans l’archéologie et dans l’art rupestre. Il est possible que ce soit d’abord chez les Capsien du Maghreb, il y a plus de 10 000 ans, puis chez les Protoberbères Bovidiens du Sahara il y a déjà 7000 ans, qu’il faille chercher le vieux stock de signes divers, puis enfin chez les Libyens orientaux et sahariens des débuts de l’histoire. Malika Hachid nous propose de lier les mêmes signes géométriques ornant les coquilles d’œuf d'autruche des Capsien, ces premiers Berbères dont l'une des caractéristiques culturelles essentielles, voire identitaires, est celle du décor géométrique qui marque tous leurs objets utilitaires et leur parure, à ce vieux stock de signes (Hachid 2001). On ne sait pas à quoi correspondaient ces premiers signes rupestres, sans doute uniquement esthétique et/ou symbolique, mais les signes géométriques sont aussi une des formes de marquage des animaux pour en définir la propriété, car au Sahara, la comptabilité commerciale écrite qui accompagna le développement des premières civilisations à écriture, n’a pas court dans le désert, où la nécessité de connaître et reconnaître ses animaux est essentielle à la survie. Cette fonction de l’usage des signes a pu alors se diffuser avec les Protoberbères Bovidiens, période d’avènement de l’économie pastorale. C'est dans ce creuset iconographique que se trouvent certains éléments graphiques qui ont pu se prêter progressivement à la mise en place d'une sorte de langage idéographique primaire. Il y eut assez vite plusieurs formes, du nord au sud, d’est en ouest de cette immense Berbérie.
Tous les éléments, archéologiques, linguistiques et historiques convergent vers un même repère, celui de l’apparition du libyque vers la fin du IIè millénaire avant notre ère, entre 1500 et 1000 BCE. C’est le moment où une vague de progrès porte les Paléoberbères, qui adoptent cheval et char, mettent au point écriture et métallurgie. Que l’écriture soit apparue, à quelques siècles près, en même temps que le cheval, le char et le métal n’est pas le fait du hasard (Saby 2008), on attribue notamment le développement du fer aux peuples de la mer dont sont issus des Phœniciens. Ainsi, en déployant leur comptoir sur les côtes libyques puis carthaginoises, les Phœniciens introduisent les premiers alphabets puniques inspirés des écritures hiéroglyphiques et cunéiformes. Mais, ils introduisent surtout un autre usage de ces signes qui incitera les paléoberbères à compléter leur propre alphabet. C’est sans doute avec les Paléoberbères Garamantes que le système idéographique primaire s'est orienté vers une forme scripturaire pour donner les premiers caractères d'écriture. Pour Gallinaro, les premières inscriptions libyco-berbères (Tifinagh) sont datées de la phase Garamante (Gallinaro 2013). Les Garamantes, qui se mettent en place vers 1500BCE et avant 1000 BCE, sont les premiers sahariens commerçant avec les Phœniciens et occupent donc une place privilégiée entre les cultures méditerranéennes et sahariennes.
Plusieurs chercheurs s’accordent désormais à ne pas écarter cette hypothèse de l’ancienneté de certaines inscriptions libyques de l’Atlas saharien, du Sahara Central, de l’Aïr, de l’Atlas et du Sud marocain, comme une apparition indépendante du Tifinagh vers 1300- 1200 BCE au Tassili selon Salem Chaker (Hachid 2001 ; Sorand 2013). L’argument de cette haute chronologie, qui atteint parfois 1500 BCE, est la contemporanéité des témoignages épigraphiques avec les gravures et les peintures rupestres (Saby 2008). Ainsi, il se peut que les Tifinagh soient une sorte de synthèse entre un fonds de signes anciens qui s’organisa peu à peu au contact des alphabets phœniciens naissants.
Un élément semble toutefois bien établi, les tifinagh anciens figurent dans un contexte rupestre exclusivement caballin, avant que le dromadaire même n’apparaisse au Sahara. En Aïr, Jean-Pierre Roset a montré que les inscriptions n’apparaissent que dans la phase caballine finale, celle où les hommes tiennent leur cheval par la bride (Roset 1993). Les tifinagh anciens sont forcément en place avant le Ier siècle BCE et se transforment en tifinagh récents qui remonteraient au moins au Vè siècle de notre ère, date du mausolée d’Abalessa. Pour Dupuy, c’est à partir des IV-Vè siècles CE et suite à la libération des espaces du Sahara méridional, Ifoghas et Aïr en particulier, que les éleveurs nomades investissent ces massifs. Ils sont porteurs de traditions nouvelles qui sont illustrées par l'art rupestre : montent des chevaux et des dromadaires, portent plusieurs javelots et des vêtements amples et bien couvrants, chassent à courre, rédigent de courts messages composés de tifinagh. Ces éléments conjugués attestent du rattachement du Sahara méridional au domaine amazighophone, avant que ne se développe le commerce transsaharien arabo-berbère (Dupuy 2022).
Carte des rupestres Tifinagh
Apprendre
L'ATP (Association pour la Promotion du Tifinagh), dont le siège se situe à Agadez, a réuni des intellectuels Touaregs de différentes régions du Niger pour travailler à l’unification de cet alphabet et ajouter des voyelles. Ce travail a permis de répondre aux normes typographiques et aux besoins modernes de l'impression. Mais les tentatives d'utiliser le tifinagh à d'autres fins, que ce soit dans les traductions de la Bible ou dans les mouvements nationalistes berbères, ont échoué (Dalby 2014).
"Apprendre Tamacheq", est un livre qui comme son nom l'indique renferme les principes du langage parlé par les Kel Tamacheq ou Touareg. Cet ouvrage est une ouverture culturelle vers le monde Touareg, il vous donne l’opportunité de comprendre ce peuple par la maîtrise de leur langue. Il comprend des leçons de grammaire, des mots de vocabulaire, des proverbes, des contes mais aussi quelques chansons de musiciens touarègues.
Ce livre servira de support à ceux qui voyageraient en territoire Touareg. Il vous permet d'être à l'aise dans les petites conversations avec les nomades touarègues. Découvrez une langue millénaire qu’est la Tamasheq. Il est vrai que l’apprentissage n’est pas chose facile, mais il suffit d'avoir la volonté (aniyat) et de la persévérance (tezidart).
Contact de l'auteur: Alghoubas Adouma
Références
Bernus S. 1972 – Henri Barth chez les Touaregs de l’Aïr, Études nigériennes, Niamey, Centre nigérien de recherche en sciences humaines, 195 p.
Dalby A. 2014 – Dictionary of languages, New York, Columbia University Press.
Dupuy C. 1993 – Une contribution à l’histoire ancienne des Touaregs, Mediterrâneo, (3), p. 11‑29.
Dupuy C. 2022 – Le Tilemsi et ses abords de la préhistoire à nos jours, in Les sociétés humaines face au changement climatique, Archaeopress Archaeology, volume. 22, p. 224‑256.
Gallinaro M. 2013 – Saharan Rock Art: Local Dynamics and Wider Perspectives, Arts, 2, p. 350‑382.
Hachid M. 2001 – Les Premiers Berbères. Entre Méditerranée, Tassili et Nil, Edisud, 316 p.
Roset J.-P. 1993 – La période des chars et les séries de gravures ultérieures dans l’Aïr, in L’arte et l’ambiente del sahara preistorico dati e interpretzioni, Società italiana di scienz, p. 556.
Saby C. 2008 – Les Garamantes, Editions Servimédia, 296 p.
Sorand C. 2013 – Les Berbères dans l’histoire, https://www.academia.edu/22100212/Les_Berb%C3%A8res_dans_lhistoire.