Dans cet article, je m’intéresse aux Gobirawa qui, à une époque, ont passé par l’Ayar1. Il serait vain de croire que cette communauté n’ait qu’une seule origine. Comme beaucoup de confédérations Berbère, Touareg ou même Hausa, les Gobirawa que l’on connaît aujourd’hui en tant que peuple du Hausa Bakwaï (les sept premiers États Hausa), sont le résultat de migrations qui pour certaines viennent de l’est, du nord, de l’ouest et sans doute du sud. La diversité des traditions orales ou des écrits, des cousinages ou des us, ne reflètent en fait que les alliances qui se sont faites et défaites, de grès ou de forces, tout au long de leur histoire, par métissages successifs entre populations désireuses ou obligés de s’unir pour poursuivre leur histoire.
Yvelines Poncet dans sa carte ethno-démographiques du Niger, nous dit que « les Gobirawa, à propos desquels les traditions sont variées : venus de l'Aïr, où ils étaient peut-être des berbères métissés, et dont ils ont été chassés, ils ont fondé le royaume du Gobir au Xle siècle. Ou bien ils viennent du Bornu, ou même de l'ouest (Poncet 1973). » En fait, ces traditions pourraient bien être toutes vraies. Si les traditions d’origine peuvent apparaître farfelue au départ ou des reconstructions a posteriori, il n’en demeure pas moins que l’on peut y retrouver des éléments concordants qui alimentent le récit des origines Gobirawa.
La légende islamisée
Les Gobirawa seraient originaires de Gubur/Gubr au Yémen, plus précisément au nord-est de La Mecque. La veille de la bataille de Badr menée par le prophète Mohamed, le roi de Gubr, Bana Turmi, afin d’être certain de compter parmi les vainqueurs engagea une partie de son armée avec le prophète et une autre avec son adversaire Haibura roi de Kishra. A la fin de la bataille gagnée par le prophète, s’apercevant de la supercherie, il déclara que les Gobirawa souffriraient sans cesse de division. A cette suite, le roi du Gubr, confut, émigra avec son peuple jusqu’à Bilma où il décéda. Bashira son fils lui succéda suivi par son petit-fils Dala qui atteint l’Abzin1, d'où, repoussé par les Abzinawa, il alla à Suru Kal (Massar en Lybie ?) puis à Birni Lallé (Gado 1984).
Cette tradition donne une origine très clairement islamique, dont par ailleurs certains rois avant Bana Turmi seraient même des fils du Sultan de Misra capitale de l’Égypte. Ce sont donc probablement des arabes ou des bédouins, origines blanches que l’on retrouvera dans diverses traditions. La bataille de Badr eu lieu en 624 de notre ère et l’exil des Gubr qui s’ensuivit place leur arrivée vers Bilma dans les années suivantes. Ce ne sera que son petit-fils qui atteindra l’Abzin très certainement avant la fin du VIIè siècle. Toutefois Urvoy nous précise que c’est plutôt son 28è successeur qui passa en Aïr qu’il conquit et se construisit ainsi un petit État (Urvoy 1936). Cette précision est d’importance puisque cela placerai la venue des Gobirawa en Aïr vers le début du premier millénaire si l’on s’en tient à 5 successeur par siècle qui n’est pas aberrant.
Séré de Rivières reprend cette tradition et ajoute que la tribu de « race blanche » conduite par Bana Tourmi se croisent avec les Hausa autochtones pour donner les Gobirawa (Séré de Rivières 1965).
Autres légendes des plus imprécises, les Gobirawa seraient venus de Goubom près de Médine, à la suite d’une migration de 1100 ans, passant par la Lybie, la Tunisie puis 250 au Bornou, 80 à Kornaka puis Lallé, 150 ans à Chamonkal (?) puis retour Lallé 300 ans (Séré de Rivières 1965).
Si l’on suit ces traditions, à l‘exception de la migration de 1100 que l’on retrouve dans plusieurs légendes d’origines en Afrique, comme celle des Zarma (Hama 1967a), les Gobirawa arrivèrent en Aïr vers le VIIè. Ce seraient plutôt alors des bédouins ou arabes qui se métissèrent avec les populations autochtones. Ce métissage directe semble plutôt difficile à admettre compte tenu qu’aujourd’hui encore, les arabes ne se métissent guère qu’avec des berbères et somme toute assez peu souvent. Par ailleurs, la bataille de Badr, qui opposa le Prophète à une caravane Mecquoise, est décrite dans le Coran et ne semble pas renfermer d’éléments pouvant accréditer cette origine géographique, qui rattache l’origine d’un groupe à la naissance de l’islam, légende des plus courantes en Afrique de l’ouest.
Ces traditions d’origines islamiques sont très certainement des constructions a posteriori de l’origine du groupe. Pour les développements suivants, nous en retiendrons néanmoins quatre éléments, Bana Turmi, la passage par Bilma, l’indécision politique du roi des Gubr et l’atteinte de l’Aïr par le Gubr en deux temps, une première fois repoussés puis une seconde fois réussie.
L’origine Stambouliote
Une autre origine des Gobirawa les lient aux Coptes égyptiens rapportée par Muhammed Bello qui donne aux Gobirawa une origine noble, ce seraient un reste de Kyptes/Coptes qui auraient émigrés d’Égypte au Maghreb (Abadie 1927 ; Urvoy 1936 ; Moumouni 2008), Boubou Hama d’ajouter qu’ils seraient des descendants métissés des berbères Gober qui vécurent au Sahara particulièrement en Libye (Hama 1967). Par ailleurs les chefs du Gobir porte sous l’œil une marque, « l'empreinte du poulet » que l'on retrouve aussi chez les Coptes au niveau de la lèvre, les chefs Gobirawa sont dénommés Kiptawa, en référence à cette marque, dont la racine serait Koptes (Hama 1967). Les traces de chrétiens Coptes dans le sahel sont rares, on peut néanmoins noter Léon l’africain qui note à Katsina et Gaogao des chrétiens à la façon d’Égypte (Temporal 1830), également en 1710 Carlo Maria Di Gena part d'Égypte sur ordre du Vatican part d’Égypte pour retrouver les traces de Chrétiens au Bornou, malheureusement sans suite puisqu’avec son acolyte, ils meurent en route à Katsina, ayant du passer par Agadez à cause de l’insécurité du Kawar (Gosselain 2013). Le Lieutenant Jean note également que les Hausa et Égyptiens sont arrivés en même temps, les Égyptiens moins nombreux mais cette origine reste dans les mémoires (Jean 1909). il signale que Kabéra est la ville extrême du pays Hausa, Kabéra signifie (en songhaï) Mourzouk et Haute Égypte. On rapprochera à l’évidence ces informations de celles qui font venir les Katsenawa du Kawar ou d’Awdjila une ville nègre. A la fin de premier millénaire et très certainement à la fin des Garamantes vers le IVè-Vè, les populations noires occupaient le Kawar et très certainement le Fezzan et tout le grand sud Libyen.
Hogben nous précise : « les Gobirawa eurent une vocation guerrière, ils formèrent les soldats des pays voisins. D’après les chroniques, le sultan d’Istamboul, aurait envoyé son fils Raffi avec des guerriers Gobirawa faire une expédition au Soudan. Une seconde expédition eut lieu au XIIè siècle ; à sa tête le fils du Sultan d’Istamboul Sudani et sa fille Tawa. Elle est considérée comme « mère » par les Gobirawa. La classe dirigeante des Gobirawa se distinguent de ses habitants ordinaires, ces derniers sont d’origine « Hausa », « Dawrawa », Katsinawa », tandis que l’aristocratie Gobirawa descend des « Kiptawa » ; ils portent sous un œil une marque appelée « takin kaza », (l’empreinte du poulet). Hogben et Kirk-Greene laissent entendre que Gobir n'est peut-être pas entièrement haoussa, ses dirigeants étant peut-être de noble origine touareg ou zaghawa. (Sutton 1979). Après la prise de Absin Bilma vers 1350, les Gobirawas dominèrent toute la région. Lors d’un assaut des Touaregs, les courageux guerriers du Gobir furent chassés vers le sud près de Madaoua. Ils furent amenés à signer un pacte de non-agression avec leurs vainqueurs » (Hogben cité par Moumouni 2008).
Pour Boubou Hama, les Sultans de Stamboul sont les chefs du Caire et de Médine. Le Caire fut notamment la capitale du califat Chiite sous la dynastie des Fatimides soit entre 969 et 1171. Cela militerait donc pour une arrivée des Gobirawa au moins contemporaine au début du royaume de Tigidda, et l’époque des Fatimides est intéressante puisque le Califat Chiite cherche à couper la voie de l’or de l’Afrique occidentale qui passe par le Maghreb, en essayant de mettre la main sur les voies commerciales menant à la boucle du Niger par le Sahara central et ou le Bornou. C’est donc une période qui a due voir s’intensifier les relations commerciales en partance des oasis de Khargla et Dakhla pour la boucle du Niger, via le Kawar et l’Aïr, amenant ainsi de nouvelles populations sur ces voies de commerces. D’ailleurs les Coptes sont, à l’époque Fatimides, présents sur les oasis égyptiennes et une partie a très bien pu suivre les routes commerciales qui se développent (Cuoq 1975).
L’hypothèse de la période Fatimides comme détonateur de migrations et de développement des voies commerciales vers la boucle du Niger, coïncide bien avec notre légende qui évoque une seconde expédition vers le XIIè siècle, tout comme la légende islamisée qui rapporte une atteinte de l’Aïr en deux temps. La date de 1350 rapportée dans cette tradition nous paraît par contre très proche de l’avènement des Touareg en Aïr et d’ailleurs à cette époque aucun texte n’évoque la prise de l’Abzin par les Gobirawa au temps du royaume de Tigidda. Néanmoins, retenons cette date pour des événements ultérieurs.
Le passage par Bilma que l’on trouve dans cette tradition comme dans la légende islamisée, mérite un peu d’attention. Depuis l’époque romaine, il est établi des relations avec le Lac Tchad et donc les Zaghawa ou les Sefuwa selon la période considérée, qui seraient déjà des berbères négrifiés, à l’instar des Garamantes au début de notre ère. Il est évident que les Gubr venus à Bilma ont rencontrés ces populations et que des liens durent se nouer. Ces liens étaient peut-être même établis avant l’arrivée de Gubr, en expédition sur des voies commerciales connues. L’arrivée de guerriers de Libye ou d‘Egypte, de contrée avec qui l’on commerce, pouvaient être une opportunité pour mieux maîtriser l’Abzin qui connaissaient déjà depuis quelques siècles l’arrivée régulière de nouvelles tribus Touareg. Les Gubr s’infiltrèrent donc en Abzin très vraisemblablement avec recommandations bornouanes à la suite d’une seconde expédition mieux préparée avec l’allié bornouan. Bornou doit être ici pris comme étant le royaume dominant autour du lac Tchad, donc selon les périodes le Kanem ou le Bornou, les traditions orales ne mentionnant que le dernier connu.
De plus amples recherches s’imposent pour mieux comprendre les relations de voisinage entre le Fezzan, le Kawar et la zone du lac Tchad. Depuis les Garamante, les populations habitant ces contrées et entretenant l’axe commercial nord-sud entre Maghreb et Soudan, sont très certainement des populations négro-berbères, c’est à dire que dès le début de notre ère des métissages se sont produits entre berbères et soudanais, en témoignent les Garamante, tantôt noirs, tantôt blancs dans les récits romains, mais aussi plus tard où à la même époque les Zaghawa du Lac Tchad et donc possiblement les Gubr de Bilma. Hogben et Kirk-Greene laissent d’ailleurs entendre que Gobir n'est peut-être pas entièrement haoussa, ses dirigeants étant peut-être de noble origine Touareg ou Zaghawa (cité par Sutton 1979). Il ne faut peut être pas chercher toujours très loin les origines d’un groupe et il n’est pas impossible que les négro-berbères qui formeront l’élite Gobirawa soient d’origine du Kanem-Bornou. En effet, au début du second millénaire on sait qu’aux frontières occidentales du Bornou se développe le Hausaland et que se dernier rayonnera jusqu’en Aïr. Il n’est donc pas impossible que dans le même temps le Kanem/Bornou n’est pas cherché à mettre la main plus sûrement sur l’Aïr qui deviendra un enjeu d’importance dans les voies commerciales.
Pour Sutton, les Gobirawa étaient des nilo-sahariens qui en descendant vers le sud se sont hausaïsés puisque le Gobir était un Hausa bakwaï atypique de part son environnement, ses guerriers, son positionnement à l'ouest du Hausaland et le fait qu’il ne rende pas compte de la légende de Bayajida fondatrice pour les 7 premiers États Hausa. Je suis plutôt en accord sur l’hausaïsation des Gobirawa depuis l’Aïr vers le sud, mais je préfère pour l’heure faire des Gobirawa des négro-berbères issu du Kanem/Bornou ou du Kawar.
Au delà des facteurs politiques et économiques qui ont entraîné des mouvements de populations dans le Sahara, on doit aussi noter, de 1200-1300 une période aride autour du Lac Tchad qui a pu participer à ces mouvements en direction de zone refuge comme l’Aïr (Maley and Vernet 2013). A contrario, les données polliniques obtenues sur la carotte de Baga-Sola montrent qu’au xiie siècle la végétation sahélienne autour du lac Tchad était nettement plus développée qu’actuellement, et donc associée à des pluies régionales plus importantes. Des données paléoclimatiques plus précises pourraient également orienter le récit des origines.
Les populations hausaphones de l’Aïr, plutôt sédentaires et paysannes, inorganisées, avancent également vers l’Ayar au vu des conditions climatiques plus favorables. Cette avancée est notamment relatée dans une tradition relevée par Boubou Hama : « vers l’an 1000 des Gobirawa, venus du sud prennent Agadez, et deviennent les maîtres de l'Aïr, à cette époque des berbères venus du Maroc s'installent aussi » (Hama 1974). Les berbères du Maroc seraient les Igdalen, ce qui placerait ce mouvement vers le VIIIè ou IXè siècle antérieurement à la venue des Messufa, ce qui n’est pas impossible. Évidemment la référence à Gobirawa renvoi plus sûrement à des groupes hausaphones car les Gobirawa ne sont pas encore structurés, et celle d’Agadez renvoi à Ayar et plus précisément le sud de l’Ayar. On notera également qu’un tel mouvement de population hausaphone peut être concomitante de l’expansion de langue Hausa qui est relaté par Sutton à la charnière des deux millénaires de notre ère (Sutton 1979).
Un autre mouvement du sud pourrait être identifié par Rodd qui remarque dans la Chronique d'Agadez que le peuple de Daura, qui est considéré comme le plus pur des Hausa, a d'abord régné dans l'Air ; mais ils s'affaiblirent et furent conquis par les Kanuri, qui à leur tour cédèrent la place aux Goberawa (Rodd 1926). La limite la plus septentrionale de l'ancien royaume de Gober, ou plutôt le positionnement le plus nordique en Aïr des populations hausaphones fut peut-être, à mi-chemin entre les puits d'Asiu et la vallée de T'iyut, une petite colline appelée Maket n'Ikelan, qui signifie en tamasheq « la Mecque (ou sanctuaire) des esclaves » (Rodd 1926), mais non encore positionné sur nos cartes.
Dans tous les cas, les populations ne sont pas figées sur place mais témoignent des événements géopolitiques comme naturels qui influent sur la distribution des populations à chaque instant. La tendance est aussi forte à ne regarder les migrations que dans une dynamique est-ouest ou nord-sud, il y en eu aussi sud-nord comme ouest-est.
L'affaire des Monts Bagzan
La chronologie de Périé (Archives nationales du Niger, Carnets monographiques du cercle de Maradi, 1944), signale Tawa comme reine des Gobirawa en 1168 (Périé cité par Chrétien et al. 1999). L'émission ‘’Connaissance de l'Histoire : Histoire du Gobir’’ place l'arrivée de Tawa dans le mont Bagzam « entre 1150 et 1350 » (Moumouni 2008). L’auteur suit ici les éléments précédents sans faire de choix entre une date de la fin des Fatimides à ce 1350 cité par Bello, dont on ne connaît pas la source.
Pour Séré de Rivières, la Reine serait passée vers Raffin Belma (= Bilma) puis Birni Abzin (= Aïr) où elle aurait lutté aux côtés des Bornouan pour repousser les Touareg dans les Bagzan à la fin du XVIè (Séré de Rivières 1965). Cette date du XVIè siècle paraît bien tardive et cet événement pourrait très bien être rapproché des représailles que porta le Bornou envers les Touareg de l’Aïr, peut être déjà les Iteseyan et les Kel Gress, pour ne pas avoir payé leur tribut annuel, obligés qu’ils furent de se replier sur les Monts Bagzan (Hamani 1989). Le Bornou finalement se repliant après un long siège, faute de pouvoir combattre les Touareg réfugiés sur le mont. Cet événement est d’ailleurs daté du XIIé siècle ce qui correspond mieux aux arrivées des Gubr dans la tradition Stambouliote. Cette tradition évoque donc très clairement une alliance entre les Gubr et les bornouans pour déloger les Touareg de l’Aïr qui déjà maîtrisent la montagne tout du moins le centre de celle-ci déjà peuplée d'Azna. Abadie le situe au XVIè (Abadie 1927)et Jean vers 1300(Jean 1909), à la suite de quoi les Kel Owey et le Sultanat d’Agadez poursuivent les bornouans et s’emparent ainsi de Fachi et du Kawar sur lesquels encore aujourd’hui ils ont des droits.
Le Commandant Chapelle entre autres, nous signale que les Azna jalonnaient autrefois le Ténéré entre Fachi et l'Aïr (Chapelle 1949), mais ces derniers ne semblent jouer aucun rôle politique, ils assurent au moins une continuité de peuplement entre Kawar et Aïr. A leur arrivée en Aïr, les Gobirawa s’allièrent avec les Idirfunawa (Azna de la montagne) contre les Touareg (Hama 1967c), grâce aux conseils et à l’intronisation du Bornou désireux de reprendre la main sur l’Abzin qui se voit renforcer continuellement par l’arrivée de nouveaux groupes Touareg. La vocation guerrière des Gobirawa due plaire au Bornou et peut être les eurent-ils utilisés comme mercenaires comme le Sultan de Stamboul auparavant, mais plus volatiles en terme de loyauté.
Ces événements pourraient aussi rappeler ceux de la bataille de Badr où le chef Gobirawa ne choisit pas de camps entre Touareg et Bornouan, puisque par la suite les Gobirawa firent la paix avec les Touareg pour ne pas être exterminés et purent s’installer vers les Bagzan. D’ailleurs Boubou Hama selon un manuscrit de Maradi rapporte a peu près les mêmes événements où le Bornou demanda l’aide de la reine Tawa pour les aider à repousser les Touareg dans les Bagzan (Hama 1967c). Par contre, les éléments suivants qu’il rapporte semblent marquer l’indécision politique des Gobirawa. Les Touareg ayant demandés alors à la Reine Tawa une paix qu’elle accorda en nommant un Sultan du nom de Yunus vers 1405, ce qui ne peut être satisfaisant dans la chronologie évoquée plus haut qui verrait la Reine Tawa arriver à la fin du XIè siècle ou courant du XIIè siècle. Il rapporte également d’après un autre manuscrit que les Gobirawa firent la paix et demandèrent que le chef des Touareg ait une captive comme femme. Selon Barth cela se serait produit avec les Kel Owey donc vers le XII-XIIIè siècle et le Sultan en question peut être l’Anastafidet3 des Kel Owey (Barth 1863). Mais à cette époque les Kel Owey sont encore très récents en Aïr et il est possible que Barth est rapporté ces événements à la situation qu’il trouva en Aïr, et non à celle qui devait prévaloir à l’époque avec une dominante encore importante des Iteseyan et Imiskikiyan sur l’Aïr. Barth de rajouter que la capitale de Gober était alors Tin Shaman, c’est à dire le puits principal d’Agadez. C’est donc très certainement l’époque du retrait des Gobirawa de la montagne bleue face aux Touareg et la poursuite des migrations des Gubr vers le sud-ouest de l'Ayar.
Rodd rapporte des éléments similaires «lorsque les Kel Owi ont pris possession du vieux Gober avec sa capitale à T'in Chaman, un compromis a été conclu entre les conquérants rouges et les indigènes noirs, afin que ces derniers ne soient pas détruits et que le chef principal des Kel Owi soit autorisé à épouser une femme noire. Le mariage du chef rouge avec une esclave noire peut être une allusion, et peut-être directe, à la pratique associée au sultan de l'air » (Rodd 1926).
Les événements autour des Monts Bagzan ne pourrait-il pas être aussi à l’origine de cette légende qui font que les attributs de la chefferie Gobirawa (2 tambours, 2 bracelets en or et cuivre et un sabre) seraient enterrés sous les Monts Bagzan qu'ils durent quitter après une catastrophe naturelle (Mamadou 1992). On a évidemment du mal à croire en un tel événement naturel, le plus souvent les biens précieux sont enterrés pour éviter le pillage, l’accaparement par d’autres populations, peut être est-ce plutôt cet événement politique ou guerrier peu glorieux qui se cache derrière cette tradition que la mémoire des Gobirawa n’a pas souhaitée retenir entièrement.
Les Gubr arrivés en Abzin n’affrontèrent pas seuls les Touareg qui commencèrent leur intrusion jusque dans les montagnes de l’Aïr. Bien que farouches guerriers, ils durent s’allier aux populations les plus anciennes de l’Aïr les Abzinawa, ne serait-ce que pour des aspects logistiques comme l’alimentation ou la forge, grâce à l’intronisation faite par les Bornouans. Il n’en reste pas moins que c’est sans doute le début de l’encadrement4 des populations autochtones Azna5, dépeints comme inorganisés. Les Gubr, comme beaucoup de populations négro-berbères encadrèrent ainsi les populations Azna, leur apportant l’organisation, si ce n’est d’un État, au moins d’une confédération, dont les Gubr allaient former l’aristocratie guerrière protectrice, la confédération des Gobirawa.
La Reine Tawa
Pour Séré de Rivières, Tawa est la fille de Balan' Tourmi, premier chef de Konni. Le nom de ce personnage ressemble très fortement à celui de Bana Turumi dans la légende islamisée. Pour Hogben, elle serait la fille du Sultan de Stamboul, peut être une fille illégitime issue d’une mère esclave ou tout du moins d’une condition inférieure, donc potentiellement métissée. Dans les 2 cas, elle viendrait du nord-est de l’Afrique avec une petite armée de guerriers Gubr, mercenaires métissés, qui se mélangeront aux Abzinawa au moins en partie, car il est établi que l’aristocratie du Gobir est d’origine berbère alors que le fond des Gobirawa serait Hausa. Il serait intéressant d’aller plus loin en recherchant les traditions des 4 familles qui aujourd’hui peuvent prétendre au trône du Gobir (Mamadou 1992), suggestion qui dépasse pour l’heure mon cadre de travail.
Il n’y a guère que ces traditions qui évoquent la reine Gobirawa qui pourrait être comparable à Tin Hinan la reine des Touareg. Entre mythe et réalité, cette présence féminine dans les traditions nous ramène à une origine berbère par le statut privilégié de la femme marquant souvent la différence entre les Touaregs et leurs voisins (Badi 1994), mais il est aussi évoqué des reines dans les traditions hausaphones, comme la Reine du village de Daura qui maria Bayajidda, père de Bawo dont les 7 fils sont à l’origine des Hausa bakwaï (les sept État Hausa originels). Pour Sutton ce type de légende sert à la personnification d'une vague période d'expansion et d'exploitation du groupe vers le sud, comme la reine Amina de Zazau (Sutton 1979).
La réalité s’appuie sur un tombeau qui serait celui de la reine Tawa à Koutchéwa près de Birni Lallée, l’archéologie ne s’étant pas encore intéressée à ce monument. Séré de Rivières précise que Tawa était en fuite de l'Aïr vers les XI-XIIè siècle (Séré de Rivières 1965). Pour lui, Birni Lallé est la capitale des Gobirawa au XVIè siècle, ce qui correspondrait assez bien avec l’éviction des Gobirawa de l’Aïr au XVè siècle. Les Gobirawa occupaient le sud de l’Aïr au temps de la reine Tawa, ils étaient également présents au sud dans la région de Dakoro est entretenait déjà des relations avec la région de l’actuel Gobir ou tout du moins les populations Azna qu’ils dominaient en Aïr et qui étaient présentes jusque dans le sud du Niger actuel, leur donnant un accès sur tout un territoire sans véritable chefferie organisée. Domination doit ici être pris avec largesse, car il est peu vraisemblable que les Gubr purent dominer aussi facilement des populations peu organisées et réparties sur un vaste territoire a minima d’Agadez à Maradi.
Ce vaste territoire fait le trait d’union de la relation commerciale qui existait entre Takedda et le Gobir pour le commerce du cuivre, relaté par Ibn Battuta en 1353 (Defrémery and Sanguinetti 1858). A cette époque donc l’État Gobirawa était bien établit entre l’Ayar et le Gobir actuel, même s’il est difficile de fixer une limite précise, vers Birni Lalé ou pourquoi pas plus au sud vers le Kebbi. Léon l’Africain place également le Gobir après l’Ayar et avant le Hausaland (Temporal 1830). Cette capacité à établir des liens à longue distance révèle à coup sûr que les Gobirawa évolués dans une environnement écologiquement et culturellement stable qui ne peut être que la culture Hausa, une population paysanne du Sahel.
Un berbère Abkal Ould Aoudar précise que l’histoire ne s’est intéressée à ces Gobir, qu’au temps de la Reine Tawa. Son autorité énergique s’étendait du Kebbi à l’Aïr dans un état vaste, fort et bien organisé (Hama 1967c). Si la Reine Tawa ne fut pas la seule à construire cet Etat, elle en reste assurément la cheville ouvrière dans les mémoires des Gobirawa, la « mère » qui édifia les fondations de cette communauté. Les Azna sont par ailleurs réputés païens et font preuve de peu d’organisation politique (Séré de Rivières 1965), elle a su donc pousser le caractère de ces populations rurales grégaires en leur offrant une nouvelle unité par la protection des guerriers Gubr. La présence du Tombeau de la reine Tawa à Birni Lallé n’est donc pas forcément en relation avec le fait que cette ville fut une des capitales du Gobir au XVIè, mais que l’envergure des Gobirawa est plus large que le sud-ouest de l’Aïr et l’Ighazer et s’étendait déjà au XIIè, durant le royaume de Tigidda, très au sud vers l’Ader et l’actuel Gobir. Ce tombeau fait encore l’adoration de populations fétichistes (Hama 1967c), très vraisemblablement des descendants des populations Azna qui en garde un souvenir important. Avant d’y être inhumée la reine Tawa aura donné son nom à la grande ville de l’Ader, sans savoir si ce fut de son vivant.
Si l’on s’en tient à ces faits, la naissance des Gobirawa se situerait donc au temps de l’arrivée des Gubr en Abzin, avec la Reine Tawa qui organisa sous son autorité les populations Azna de l’Aïr puis celles plus au sud des montagnes. Il est ainsi logique que, selon les interlocuteurs interrogés, certaines généalogies royales commencent à partir de cette Reine, telle celle d’un manuscrit de Maradi rapporté par Boubou Hama (Hama 1967c). Mais d’autres généalogies ont aussi des rois avant la Reine Tawa, ce qui montre que la seule origine Abzinawa ne peut suffire à raconter l’origine des Gobirawa, elle en est l'élément septentrional.
Même si ce peut être aussi une reconstruction a posteriori de légendes comme dans le cas de la Reine des Touareg Tin Hinan, où Sabenas des Kel Ferwan, ces femmes ont en commun, d’abord l’appropriation d’un espace donné, et ensuite, la fondation d’un groupe de parenté qui va hériter de cet espace, a l’intérieur des « tisarradh », limites territoriales connues et reconnues par l’ensemble des groupes (Badi 1994).
Une arrivée occidentale
Un manuscrit de Madaoua relaté par Boubou Hama précise qu’au temps de Moussa Ben Nassir et Youssef Ibn Tachfine, une partie des Touareg regagne l'Aïr depuis l'Andalousie vers Astafane en Aïr (ne serait-ce pas plutôt In Sataffane en Ifoghas, lieu probable de l’origine du Sultan de l’Ayar ?) et se choisirent un chef. En Aïr, ils battent les Gobirawa à Telguinit, puis Marandet, ces derniers devant émigrer jusque vers Birni Lallé (Hama 1967).
Ces événements se placent donc après la conquête de l’Andalousie par les arabes où plutôt les berbères Almoravide avec Youssef Ibn Tachfine à la fin du XIè siècle en 1091, et avant la chute de l’Andalousie reprise à la fin du XVé siècle par les Chrétiens. S’il n’était pas à retenir cette date dans ce manuscrit, cette tradition est assez proche de la venue du Sultan Yunus à Agadez vers 1405, période qui pourrait très bien être celle du début de la fin des Gobirawa en Aïr, tentant d’ailleurs de s’accrocher encore dans la plaine de l’Ighazer, vers Teleguina et Maranda auprès des Messufa qui dirigent le royaume de Tigidda. Ainsi, le manuscrit vu par Boubou Hama, mais dont on a pas d’autres éléments que ce qu’il en dit, relate un fait très probablement du XVè siècle lors de la déconvenue des musulmans en Andalousie.
Les batailles successives contre les nouveaux arrivants Touareg repoussèrent les Gobirawa de plus en plus vers le Sud et Birni Lallé. Les Touareg venant de l’ouest, d’Andalousie même sont alors des convertis à l’islam, et il est fort probable qu’ils repoussèrent les païens Azna dans un Djihad contre les pratiques animistes des Azna et le refus de l’islam des Gobirawa (Hama 1967c).
Mamadou dans son émission sur « L’histoire du Gobir » affirme que les Gobirawa sont le plus important peuple de l'Abzin jusque vers 1402 où ils sont encore présents à Agadez puis Tiguidda puis Maranda, un centre politique et économique important (Mamadou 1992), Tigidda étant très proche de Telguina/Teleginit en Ighazer, la confusion est facile. En 1410, Aouder nous dit que les Gobirawa, les Songhay et les Touareg sont unis face aux Berbères Messufa qui dirigent (Hamani 1989).
Au début du XVè, encore bien implantés au sud-ouest de l’Aïr, la fin des Gobirawa en Ayar semble écrite dans ses grandes lignes. Agadez, alors occupée par les Gobirawa et Iberkoreyan voit s’installer en son lieu le Sultan de l’Ayar Yussuf dont les fractions les plus importantes des Touareg vont lui construire l’actuel palais du Sultanat, les Iteseyen achetant aux Gobirawa l’emplacement (Urvoy 1936). Cette construction s’apparente à une main mise sur la ville qui rapidement n’est pas vraiment acceptée par les autochtones, ce qui va entraîner une révolte des Gobirawa à Agadez relaté par Séré de Rivières vers 1430. Ces événements marquant ainsi le début de la migration finale de l’aristocratie des Gobirawa vers Birnin Lallé puis le Gobir actuel (Séré de Rivières 1965). Pour Boubou Hama cela se passe plutôt vers 1450 toujours sous le Sultan Yussuf (Hama 1974), la généalogie officielle du Sultanat plaçant Yussuf vers 1462, on retiendra le milieu du XVè siècle pour cet événement.
Déjà peu présents en Aïr, les Gobirawa durent se réfugier vers Telguina, qui est Teleginit une montagne au cœur de l’Ighazer près de Takedda, se rapprochant ainsi de la protection de Takedda qui domine à cette époque encore le royaume de Tigidda, mais qui ne couvre néanmoins que l’Ighazer et les piémonts de l’Aïr. Cette protection ne sera bientôt plus efficace puisque Takedda décline petit à petit au profit de sa rivale Agadez. Le mouvement final vers le sud s’amorce donc, les Gobirawa sont repoussés sur Maranda près des falaises de Tiguidit, point de passage encore important pour le commerce nord-sud. Leur mouvement se poursuivra vers la région de Tahoua, Dakoro et Birni Lallé qui fut sans doute leur première capitale méridionale, avant une installation dans l’actuel Gobir. Pour Urvoy les Gobirawa se retire sur Maranda puis Taguedoufat et Tsinouara qu’on ne situe pas (Urvoy 1936). Ces différentes voies montrent peut être que ce sont sans doute différents groupes qui migrent de manière plus ou moins isolés dans le temps et l’espace mais en ayant des repères importants comme Maranda. D’ailleurs, ces mouvements de populations se firent avec d’autres populations hausaphones, les Azna vers l’Ader, les Tazarawa vers Tessaoua, les Katsinawa vers Katsina et les Zagarawa vers le Damagaram (Hama 1967b).
Pour Séré de Rivières, les Azna migrent de l'Aïr vers l’Ader depuis le XIè, où les Hausa (Azna et autres ?) sont chassés de l’Aïr au XIIè (Urvoy 1936; Séré de Rivières, op. cit.). Cette date autour des XI-XIIè est importante car cet amorçage de migration de population Azna vers le sud, se fait bien concomitamment avec l’arrivée de nouvelles populations Touareg en Aïr, comme les Kel Gress qui trouvèrent des Gobirawa à leur arrivée, certains partirent au sud, d'autres devinrent leurs captifs et les Kel Gress devaient comme d’autres tribus Touareg poursuivre dans le sud ces populations pour les razzier (Renaud 1922). Ainsi, les mouvements de populations Azna de l’Aïr ne se sont pas faites en quelques décennies mais se sont échelonnées sur plusieurs siècles. Les dernières batailles en Ighazer contre les Gobirawa ne furent sans doute que le refoulement final de l’aristocratie Gobirawa tentant de s’accrocher à un positionnement polico-économique encore privilégié auprès de la déclinante Takedda.
Enfin on notera que pour Urvoy, sous le règne de Illisaouane vers 1440, il y avait une importante colonie Katsénawa à Agadez, qui est sans doute un prémisse du développement de la route commerciale vers Katséna, au profit donc des Katsénawa et au détriment des Gobirawa révoltés. Urvoy note dans les chroniques de Katséna les premiers combats d'avec le Gobir au XIIè (Urvoy 1936). Vers 1200 Jernanata roi du Katséna commence la guerre avec le Gobir déjà installé à la lisière des cultures (Urvoy 1936). On pourrait donc ainsi voir en les Katsénawa une migration assez similaire à celle des Gobirawa mais très certainement quelques siècles ou décennies plus tôt, leur séjour en Abzin ayant certainement moins duré que celui des Gobirawa car ils n’y développèrent pas une État.
Esquisse d’une chronologie
Avant la naissance des Gobirawa entre Aïr et Kawar, on raconte que les Azna jalonnaient le Ténéré entre Fachi et Aïr. Les Gobirawa sont les contemporains des Katsinawa, Iberkoreyan et Igdalen (Chapelle 1949). Au temps des Igdalen et Iberkoreyan qui sont les premiers berbères en Ayar vers le VIIIè, ce ne sont donc pas des Gobirawa ou des Katsinawa que les traditions relatent, mais le fond de population autochtone ensuite assimilée par ces deniers, à avoir les Azna qui peut-on dire étalaient leur culture du Kawar jusqu’en Ader et au sud du Niger. On a néanmoins aucunes certitudes de l’homogénéité de cette culture sur un si vaste territoire, on l’imagine en petite communauté familiale autarcique à multiples facettes économiques inféodées à leur environnement, soit des communautés agricole ou pastorale jusqu'en Aïr (Urvoy 1936).
Pour l’heure, en l’état des éléments évoqués plus haut, je retracerais cette simple chronologie de l’histoire des Gobirawa en Ayar :
- vers le VIIè des populations peut être égyptiennes et coptes viennent au Kawar par les oasis de Koufra, ces populations se métissent aux autochtones noirs pour donner les Gobirawa mais aussi sans doute les Zaghawa ;
- à partir du IXè les routes commerciales qui passent par le Kanem puis Maranda s’infléchissent et se développent par le Kawar puis Aïr, incitant ainsi les populations négro-berbères à suivre ces voies ;
- vers la fin du XIIè siècle arrivés de groupes Berbères du Kawar ou du Kanem/Bornou, les Gubr, peut-être en plusieurs expéditions successives qui se retrouvèrent, dont la reine Tawa fille d’un Sultan, ce sont vraisemblablement des guerriers ou mercenaires qui ont pour mission de mieux maîtriser les voies commerciales vers la boucle du Niger pour le Kanem/Bornou et/ou les Fatimides ;
- installés à Bilma, ils développent leurs relations avec le Kanem-Bornou, partenaire commercial influant sur le Kawar et le Djado, une alliance se tisse pour maîtriser l’Abzin, où les arrivées progressives des Touareg menacent la stabilité sur l’Aïr, importante pour le développement de l’axe commercial à travers le Sahara central ;
- début du XIIIè ces berbères métissés occupent l’Abzin méridional avec les populations autochtones Abzinawa, les Gubr en constitueront rapidement l’aristocratie dominante, très certainement du fait que ce sont des envoyés du Bornou alors suzerain des Abzinawa ; mais cet accaparement de population autochtone ne pourra se faire sans une détente des relations avec les Touareg de l’Aïr ;
- au courant du XIIIé, le positionnement politique des Gobirawa est tiraillé entre Touareg et Bornouan, les Gobirawa tournent le dos au Bornou et sont désormais alliés des Touareg de l’Aïr ; cette paix va permettre aux Gobirawa d’étendre leur influence sur les populations Azna, jusque dans l’actuel Gobir, c’est la naissance d’un État Gobirawa ;
- XIII-XIVè de nouveaux apports Touareg en Aïr, Kel Gress, Kel Owey, repoussent les Gobirawa vers le sud-ouest de l’Aïr, ils s’installent à Tin Shaman où ils fondent Agadez, les départs de population Azna qui rejoignent d’autres groupes Azna vers l’Ader et le Gobir actuel se poursuivent;
- les XIII-XIVé sont une période de stabilité et de prospérité pour les Gobirawa qui prennent part au commerce du cuivre de Takedda, peut être grâce au savoir métallurgique des Azna et à l’organisation d’un État permettant un commerce fructueux, le cuivre arrivant jusqu’en zone soudanienne et continue probablement vers le Nigeria ou les civilisations de la forêt sont très demandeuse du métal rouge ;
- au début du XVè les Touareg installent le Sultan de l’Ayar qui ne rayonne pas encore sur toute la zone ; les Gobirawa sont encore très présents dans l’Ayar ;
- au milieu du XVè siècle, le sultanat de l’Ayar construit sa puissance à travers l’édification d‘un palais à Agadez alors occupée par les Gobirawa qui se révoltent et sont chassés ;
- les Gobirawa s’accrochent en Ighazer en recherchant la protection du royaume de Tigidda qui décline économiquement et ne peut plus s’opposer à l’avènement d’Agadez, ils sont défaits à Telguina, puis Maranda et se replient vers Birni Lallé puis dans l’actuel Gobir ;
- au XVIè la Capitale des Gobirawa de l'Aïr est Birni Lalé, lieu du tombeau de la Reine Tawa qui vécue 3 siècles auparavant ;
Dans cette chronologie, je place donc la Reine Tawa au XIIè siècle, elle serait la fondatrice politique des Gobirawa, encadrant les populations Azna, qui lui vouent encore un culte sur son tombeau à Koutchéwa près de Birni Lallé, et d’autres Hausa, pas seulement en Aïr mais aussi le long des falaises de Tiguidit jusque vers Tahoua, Birni Lallé, Tessaoua et Maradi. Lorsque Aoudar parle de la Reine Tawa au début de XVè, l’État Gobirawa a déjà une solide réputation de près de 3 siècles d’histoire. La reine est enterrée dans un tombeau accolé à celui de son époux, un Chérif, qui curieusement ne laisse pour l’heure pas de trace dans l’histoire, l’Ighazer rassemblant à l’époque une grande partie des chérifiens Igdalen et Iberkoreyan.
Quelques groupes Azna présents en Abzin
Différents groupes sont mentionnés dans les traditions, nous les reprenons ici rapidement mais une recherche plus précise des traditions orales et écrites de ces groupes seraient évidement un complément plus qu’utile pour préciser le passage des Gobirawa en Ayar et les liens qu’ils tissèrent avec ces populations. Je considère ici que les Hausa sont à l’instar des Touareg une confédérations de communautés qui partagent une même langue et une même culture :
- les Katsinawa, présents à Agadez et occupant maintenant le royaume de Katsina au Nigéria, ils seraient originaire du Kawar et seraient les constructeurs des puis anciens d’Aballema et de Taguedoufat (Jean 1909);
- les Tazarawa/Zagawara qui occupent actuellement la zone de Tessaoua vers Zinder ;
- les Daurawa au sud du Damagaram, le plus ancien et le plus prestigieux des sept royaumes "légitimes", celui duquel seraient issus tous les autres.
D’autres appellations existent mais avec une connotation essentiellement géographique, ce sont des communautés sous la dépendance culturelle des Hausa :
- les Damagarawa, qui auraient des origines en Aïr et au Kawar, comme leur nom l’indique ils occupent depuis le XIè siècle le Damagaram au sud du Niger dont la capitale est Zinder,
- les Aderawa occupant la région de l’Ader autour de Tahoua, qui recense une grande partie des Azna animistes qu’il convient de différencier.
Les Azna ou Hanna : le premier terme est employé dans l'Ader, le second dans les régions de Zinder et de Tessaoua. Ce nom est utilisé par les non Azna pour marquer, avec quelques mépris, une différence religieuse. Les Azna sont "païens" (c'est-à-dire animistes), et, jusqu'à la fin du XIXè siècle, étaient réputés résistants à l'Islam. Cette différenciation religieuse invoquée systématiquement par leurs voisins musulmans, ne paraît pas très convaincante : en Ader, des groupes qui se disent Azna sont musulmans depuis longtemps (Mararafawa, Meydawa) ; dans le région de Tessaoua, des villages peuplés d'Azna sont dits "maraboutiques", au même titre que des villages Gobirawa ou Katsinawa, qui abritent des écoles coraniques, et où prières et jeûnes sont scrupuleusement respectés (Poncet 1973). Parmi eux les Gunamawa originaires d’Assodé dans le massif de l’Aïr en relation avec les Agadesawa (habitants d’Agadez) et Asbinawa autres noms des habitants de l’Aïr, dont les Idirfunawa qui seraient le groupe avec lequel les Gubr auraient fraternisé à leur arrivée en Aïr. On notera également les Aruankawara = azna de Waragaz vers Taligina = Teleginit (Bernus et al. 1999), qui selon Hamani occupèrent l’Aïr dans la vallée des trois puits = vallée de Unankarad (Hamani 1989).
Les villages évoqués par les traditions
L’ensemble des noms de lieux évoqués dans les traditions ne sont pas tous identifiés. J’ai recensé seulement ceux en lien avec l’Ayar et ai tenté de les replacer sur la carte suivante, ceux non retrouvés sont : Nabi Zala près d‘In Gall, Tasshila, Igiarran, Ajamallam entre Tegidda n’Tesemt et Tegidda n’Adrar, Djanguebe Ikorbu, Tiouman Ager. Certains de ces noms sont à rechercher entre Damergou, Kutus et Damagaram, le long des voies empruntés par les Katsinawa et Zagarawa lors de leur migration finale. Comme Goram Ramé qui correspond à Gorarami près de Maradi qui fut la capitale à la suite de Tibiri (Beltrami 1983).
On notera 2 noms particuliers, Tibingin qui pourrait correspondre à Tebangant près d’In Gall et qui serait un lieu de fuite des gens de Takedda lors de l’avènement d’Agadez, et Akalin Aborak qui pourrait être Aborak la aussi près d’In Gall. Ces deux lieux semblent être des établissements de l’islam soufite en Ighazer (Bernus and Cressier 1992), après la chute du royaume de Tigidda.
La position la plus septentrionale semble être la vallée orientale de l’Aïr, Tagaï, qui pourrait être le point d’entrée des négro-berbères Gubr, la plus occidentale le village d’In Teduq.
La tradition rapportée par Séré de Rivières plus haut mentionne également Kornaka entre Birni Lallé et Maradi, et Chamonkal ou Surukal qu’il faut sans doute chercher dans cette zone également.
Conclusion
En suivant Boubou Hama et d’autres et sans entrer trop dans les détails, la période pré-islamique voit la région occupée par des groupes songhayphones originaires de la boucle du Niger et des groupes haoussaphones en provenance du sud et du bassin du lac Tchad en particulier. Ces deux mouvances sont également alimentées par le sud de populations sortant de la forêt. Par le nord ce sont d’autres populations qui peu à peu pénètrent le sahel, des Berbère et des Touareg. Les peuplements vont ainsi évoluer au grès des métissages qui se produisent entre toutes ces populations pour donner des peuples à doubles origines blanche et noire (Hama 1967c)
Le Bassin du lac Tchad fut peuplé de noirs dans le Sahara, Songhay, Gobir, Tchinga et Zaghawa qui sont tous des métis avec des berbères, émigrant vers le Sahel puis le Soudan où les autochtones se font encadrés par ces peuples qui amènent l’organisation des États méditerranéens (ibid.).
Si l’on s’en tient à cette photo du peuplement pré-islamique, et au regard des traditions et écrits évoqués plus haut, il est plutôt vraisemblable que l’Aïr mais aussi les régions périphériques au sud-ouest comme l’Ader et le Gobir actuel, était déjà peuplés de Songhay, Hausa, Azna et autres. On peut penser alors que les mémoires et écrits qui citent les Gobirawa dans une chronologie avant le XIIé siècle, font en fait référence aux populations noires originelles comme les Azna, mais à l’époque de leurs écrits ces derniers étant dominés par les Gobirawa, ils n’ont retenu que cette dernière dénomination. Pour l’heure, je prends ce parti dans cet article.
Boubou Hama ainsi cite une origine des Gobirawa qui vers l’an 1000, venus du sud, ils prennent Agadez et deviennent les maîtres de l'Aïr. A cette époque des berbères venus du Maroc s'installent aussi (Hama 1974). Les berbères venus du Maroc sont peut-être les Igdalen Isheriffen arrivés en Ighazer plutôt vers VIIIè-IXè dans tous les cas avant le XIè siècle. Si cela se vérifiait, les Gobirawa et donc plutôt des populations Hausaphones auraient alors refoulés les autochtones, très vraisemblablement des Songhay. Ceci traduit, au vu du parti pris plus haut, que les populations hausaphones, sont arrivées par le sud seulement quelques siècles avant l’entrée en Aïr des Gubr. Sutton nous précise d’ailleurs que l’expansion Hausa s’est produite au début du second millénaire (Sutton 1979), mais il n’est pas improbable que cette expansion ait commencée quelques siècles plus tôt, l’agriculture des hausaphones s’adaptant très bien au Damergu et aux vallées de l’Aïr.
Séré de Rivières résume l’origine des Gobirawa : « sous la pression des arabes, des groupes berbères blancs avancent en Aïr et se métissent pour donner les Gobirawa » (Séré de Rivières 1965). Mais l’on devrait plutôt parler déjà de négro-berbères, c’est à dire de berbères métissés, probablement au cœur du Sahara, avec les populations noires originelles du Sahara. Les Garamante sont sans doute l’un de ces peuples de grand métissage avant l’islam, au même titre que les Gubr ou les Zaghawa.
On notera avec intérêt un élément qui ne transparaît que peu dans cet article et sur lequel je m’intéresserais plus en détail dans l’évocation du royaume de Tigidda, c’est la concomitance chronologique de l’État des Gobirawa avec le Royaume de Tigidda dont la capitale est Takedda. Ces 2 entités politiques semblent naître toutes deux vers le XIIè, traversent la même période faste de la production de cuivre et semblent s’éteindre ensemble au cours du XVè siècle. Aoudar nous le signale en relevant qu’à Takedda, les Songhay, les Gobir et les Touareg formaient un même groupe, une seule coalition constamment opposée aux berbères (les Messufa) qui pourtant dirigés l’ensemble (Aoudar cité par Hama 1967c). Aouder fait ici une différence entre les Touareg et les Berbères/Massufa qui sont les Imajeghen dirigeant, les autres Touareg étant vraisemblablement des factions non suzeraines comme les Imesdraghen et autres Isandalan, voir les Igdalen. Ibn Battuta d’ajouter que le cuivre de Takedda était exporté au Gobir et au Bornou (Defrémery and Sanguinetti 1858), il semble qu’il y ait là une piste de travail sérieuse à approfondir sur le commerce de ce cuivre qui très certainement était en partie dans les mains des Gobirawa qui, avec les populations Azna détentrices des savoir-faire métallurgiques ont pu faire vivre le florissant commerce du royaume de Tigidda et permettre ainsi la constitution d’un Etat Gobirawa autour d’une rente minière.
Un autre domaine du commerce qui intéressera des développements futurs est celui de l’Indigo. Maranda dans le creux des falaises de Tiguidit, était selon certaines traditions un lieu de production de cette plante essentielle à la teinture des lithams bleus. Plus au sud, l’une des premières capitales des Gobirawa est Birni Lallé, qui signifie la ville de l’Indigo. Il est donc tentant de relier ces 2 cités aussi du point de vue de cette culture de rente, signe de distinction sociale pour les Touareg, dont les Bagobiri appartenant aux Gobirawa en faisait l’extraction dans les mares autour d’Agadez, en particulier la mare de Degui, aujourd’hui place vivante de la capitale de l’Aïr (Hamani 1989). Cette culture est aujourd’hui encore très pratiqué dans les états Hausa de Kano et Rano.
Enfin, un détail actuellement dans cet article est l’origine évoquée des Damagarawa et des Katsinawa, venus de l’Aïr et du Kawar avant. Ce serait donc aussi une origine depuis la région de Bilma comme les Gobirawa, vraisemblablement à la même époque. Les Damagarawa sont passés assez inaperçus dans l’histoire car le Damagaram et Zinder n’émergent véritablement qu’au XVIIIè siècle et les Katsinawa sont situés juste au sud de ces derniers. Il y a là aussi un axe de recherche à développer sur les négro-berbères entre Fezzan et Lac Tchad.
Tout ceci renforce encore notre besoin commun de recueil des traditions orales et écrites au travers d’enquêtes de terrain poussées qui pourront nous permettre de remettre la main sur quelques fragments de l’histoire d’Afrique. Par exemple un témoignage que j’ai recueilli en 2017 auprès d’une vieille femme d’Ingall me dit que leur origine est Telguina en Ighazer, alors que les traditions actuelles des populations sédentaires d’In Gall ne rapporte pas d’origine Azna, bien qu’une composante tribale dénommée Inemegrawen semble rassembler les gens « sans origine » ...
1. j’utilise le terme Ayar comme l’entité politique qui comprend l’Aïr, l’Ighazer, le Talak et la Tadarast, même si à l’époque qui nous occupe le Sultanat d’Agadez n’existe pas encore. Aïr est réservé à l’entité géographique des montagnes.
2. Abzin, Asbin, Asben = les montagnes de l’Aïr.
3. À cette époque l’Anastafidet ne règne que sur 2 tribus Kel Owey, les Kel Tafidet et Azanières.
4. Expression empruntés à Boubou Hama (Hama 1967c).
5. J’utilise ici le terme Azna, mais il n’est pas acquis que ce terme existe à l’époque des faits, ni même que ces populations soient hausaphones.
Références
Abadie M. 1927 – La colonie du Niger, Société d’éditions géographiques maritimes et coloniales, 462 p.
Adamou A. 1979 – Agadez et sa région, L’Harmattan, 358 p.
Badi D. 1994 – Tin-Hinan : un modèle structural de la société touarègue, Etudes et documents berbères, 12, p. 199‑205.
Barth H. 1863 – Voyages et découvertes dans l’Afrique septentrionale et centrale, traduit par Paul Ithier, Firmin Didot, Tome premier, 370 p.
Bernus S., Cressier P. 1992 – Programme archéologique d’urgence 1977-1981 : 4- Azelik-Takedda et l’implantation médiévale, Etudes Nigériennes no 51, IRSH, 390 p.
Bernus E., Cressier P., Paris F., Durand A., Saliège J.-F. 1999 – Vallée de l’Azawagh, Etudes Nigériennes no 57, SEPIA, 422 p.
Chapelle J. 1949 – Les Touareg de l’Aïr, Cahiers Charles de Foucauld, 12, p. 66‑95.
Chrétien J.-P., Triaud J.-L., Boulègue J. 1999 – Histoire d’Afrique : les enjeux de mémoire, Khartala, 500 p.
Cuoq J. 1975 – Recueil des sources arabes concernant l’Afrique occidentale du VIIIe au XVIe siècle, Paris, France, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, xvii+490 p.
Defrémery, Sanguinetti 1858 – Ibn Battuta, Le voyage au Soudan, Société asiatique, , 376‑449 p.
Gado B. 1984 – Hypothèses de contacts entre la vallée moyenne du Nil et la région du fleuve Niger, Unesco, p. 203‑250.
Gosselain O. 2013 – Hausa, hausa, kasar Hausa, Université libre de Bruxelles, http://www.chaa.be/wp-content/uploads/2012/09/Syllabus-Histoire-de-lAfrique.pdf.
Hama B. 1967 – Histoire du Gobir et de Sokoto, Présence Africaine, 172 p.
Hama B. 1967 – Histoire traditionnelle d’un peuple, les Zarma-Songhay, Présence Africaine, 278 p.
Hama B. 1967 – Recherches sur l’histoire des Touareg sahariens et soudanais, Présence Africaine, 556 p.
Hama B. 1974 – L’empire Songhay : ses ethnies, ses légendes et ses personnages historiques, Pierre Jean Oswald, 175 p.
Hamani D. 1989 – Le Sultanat Touareg de l’Ayar : au carrefour du Soudan et de la Berbérie, L’Harmattan, 513 p.
Jean C. 1909 – Les Touareg du Sud-Est : l’Aïr ; leur rôle dans la politique saharienne, Larose Editions, 361 p.
Maley J., Vernet R. 2013 – Peuples et évolution climatique en Afrique nord-tropicale, de la fin du Néolithique à l’aube de l’époque moderne, Afriques, 04.
Mamadou M. 1992 – L’histoire du Gobir, Connaissance de l’histoire, documentaire ORTN.
Moumouni S. 2008 – Vie et œuvre du Cheikh Uthmân Dan Fodio (1754-1817), L’Harmattan.
Poncet Y. 1973 – Cartes ethno-démographiques du Niger, Etude Nigérienne, 32, 50 p.
Renaud L. 1922 – Etude sur l’évolution des Kel Gress vers la sédentarisation.
Rodd F.R. 1926 – People of the veil, Macmillan and Co, 475 p.
Séré de Rivières E. 1965 – Histoire du Niger, Berger-Levrault, 310 p.
Sutton J.E.G. 1979 – Towards a Less Orthodox History of Hausaland, Journal of African History, 20 (2), p. 179.
Temporal J. 1830 – De l’Afrique contenant la description de ce pays, Aux frais du Gouvernement, Aux frais du Gouvernement, 576 p.
Urvoy Y. 1936 – Histoire des populations du Soudan central (Colonie du Niger), Paris, France, Larose, 350 p.