La route du Kawar, la caravanière pour Le Cœur (Le Cœur 1985), est un axe transsaharien nord-sud qui relie la tripolitaine au Lac Tchad, le Kawar étant une étape obligatoire en raison de ses sources en plein désert du Ténéré. Pour rejoindre le Fezzan à partir du Kawar, deux voies principales se séparent à Seguedine, encadrant ainsi le bassin de Murzuq désertique. La première vers le nord-ouest passant par le Djado puis la région de Ghat et le Fezzan ou vers le sud tunisien, la seconde plus orientale prenant la direction de Zawila par quelques rares oasis comme Tedjéré, c’est peut être cette dernière qui fut la plus utilisée. Pour relier le Lac Tchad à partir du Kawar, une seule voie plein sud via Agadem.
Avant les populations actuelles
Les populations actuelles du Kawar/Djado sont essentiellement représentées par les Kanuri et les Teda. Ces derniers seraient arrivés après les premiers. Si on peut relater différentes légendes des origines des uns et des autres, la plupart des légendes s'accordent à dire que les premiers habitants du Kawar étaient les Sôo, dont l'identité exacte est sujette à controverse (Vikør 1999). Une origine mythique les apparentent à des géants et la ville de Seguedine (Sogoudem) en porterait le nom, comme les habitants actuels et anciens que les Teda nomment Sôo. Pour les Kanuri qui seraient venus du sud, ce sont les habitants qui les ont précédés et qui étaient des géants. Ils auraient usés de stratagème pour profiter de leur cupidité et les exterminer (Migeot 1923 ; Vikør 1999). Mais il faut bien admettre que les Kanuri s'accordent à retrouver les traces des Sôo dans toutes les régions qu'ils occupent, que ce soit dans les oasis du Sahara ou dans les pays sahéliens du Damergu et du Damagaram. Pour Lange, iI n'y a que deux éléments qu'il convient de retenir, le gigantisme des Sôo affirmé partout et le respect avec lequel on évoque leur souvenir (Lange 1989).
Les légendes autour des géants ne sont pas rares. Par géants il faut sans doute entendre de grande taille. Les Touareg du Hoggar par exemple, attribuent la construction de certains puits aux Ijjobaren qui étaient des géants, dont la tête touchait la voûte céleste. Les Ijobbaren se seraient par la suite opposés aux gens du Prophète qui les auraient tous tués (Bernus 1974). En terme de chronologie et de fin, cela se rapproche de nos géants Sôo.
Le nom de Sôo reste tout de même difficile à attribuer à un groupe ethnique qui aurait des traces contemporaines, car il est difficile de raccorder de façon cohérente tous les récits historico-mythiques qui citent les Sôo comme ancêtres de ces populations contemporaines. En revanche, si l’on prend le terme comme une métonymie désignant un mode d’habitat en cités fortifiées, originellement protégées par des défenses végétales en épineux, on a plus de chances d’approcher de la vérité historique (Tourneux 2006).
Les Sôo pourraient donc représenter aussi un peuple historique, peut être un État même, ce serait les premiers habitants du Bornou (Migeot 1923). Les Sôo, païens, s'y sont opposés et ont été repoussés par les musulmans. Dans d'autres variantes, les Sôo ont été décrit comme un puissant État qui régnait sur le Soudan central au huitième siècle ou comme une série de cités-états indépendantes et fortifiées avec lesquelles le pouvoir Zaghawa naissant a dû composer. Sôo désignerait une culture primitive basée sur la ville, sans structure politique commune, qui peut être discernée grâce à sa poterie particulière, trouvée dans les vestiges archéologiques autour du lac Tchad et du lac Fitri (Vikør 1999). Trimingham précise, que les Sôo parlaient le tchado-hamitique et qu’ils ont dû vivre dans la région de Kawar-Fachi au VIIè siècle, car les Zaghawa leur ont alors demandé l'autorisation de s'installer, puis ils seraient dans la région du lac Tchad au Xè siècle (Triminghan cité par Vikør 1999). Des chroniques arabes parlent de la présence de Sôo au Kawar et notamment dans l’oasis de Bilma, avant le IXe siècle de notre ère. Ils en auraient été délogés et seraient arrivés sur les rives du lac Tchad vers le Xe siècle. (Tourneux 2006). On doit également tirer des fil entre les Sôo, vraisemblablement kanuriphone, et les Hausa qui leurs sont proches linguistiquement. A cet égard, il faut se rappeler que le Kanuri, comme le Hausa, n'était pas à l'origine le nom d'un peuple, mais celui d'une langue parlée par des tribus cosmopolites qui en feront leur liant culturel (Migeot 1923).
Pour Vikor, le peuplement du Kawar est continu et ce avant le milieu du premier millénaire de notre ère. Quelque soient les identités, Sôo, Koyam, Kanuri ou autre qui ont pu changer au cours des temps, il apparaît que tous ces peuples, mythiques ou historiques, étaient apparentés entre eux et avec la population Kanuri actuelle (Vikør 1999). Les Sôo seraient par ailleurs, les constructeurs des Ksar (Le Sourd 1946), ce qui ferait remonter les premiers édifices de défenses très probablement depuis le premier millénaire avant notre ère, et la continuité des populations a du largement faire perdurer ce système défensif, notamment les Tima avant les Ksar. Le ksar ou gassar n'existait que dans certains villages. C'était un lieu de refuge non permanent, souvent situé dans la chaîne de montagnes sous laquelle se trouvait le Kawar. Par la suite, des murs ont été construits autour du village lui-même, de sorte que le village entier devenait le gassar en cas d'attaque. C'était le cas à Bilma, Dirku et d’autres.
Les Kanuri peuvent ainsi représenter des éléments de population soudanaise qui, au cours des siècles, ont vu s’infiltrer dans les oasis du Kawar, des populations venues des quatre points cardinaux (Le Cœur 1985). Certaines ont été assimilées, peut être à la manière des Guezebida, Teda sédentarisés et kanuriphones, mais encore bilingue de langue ancestrale et toujours en relation avec les populations Teda du Tibesti, bien que souvent moquées par ces dernières. Sans oublier les Zaghawa, qui souvent désigne un terme générique arabe, mais était aussi un peuple animiste qui vénéré son roi, occupant le Kawar depuis au moins le VIIIè siècle(Hamani 2008). D’autres ont pu être refoulées, comme les Sôo du Bornou ou encore les Gobirawa dont les origines passent par le Kawar. Les Kanuri du Kawar pourraient bien être les restes d'une population proto-Kanuri plus importante dans ce qui est aujourd'hui le Sahara central et qui, en raison des caractéristiques particulières de Kawar, est restée sur place lorsque les autres se sont retirés vers le sud (Vikør 1999).
Les populations actuelles
La population Kanuri ne parle normalement pas le Teda, alors que les Kawar Teda parlent les deux langues et utilisent le Kanuri plus souvent que le Teda. En fait, le Kanuri est une langue véhiculaire dans les régions Teda et elle est utilisée comme langue commerciale pour les commerçants transsahariens du Kawar. Elle ne diffère que légèrement du Kanuri parlé à Bornu (Vikør 1999). Ce qui donne un argument supplémentaire pour faire des Kanuri des habitants de l’ancien Kanem-Bornou. Certaines traditions rapportent même une origine yéménite (Le Sourd 1946), comme beaucoup d’autres groupes sahariens et sahéliens.
Il ne fait pas de doute que les Teda sont venus après les Kanuri à partir du Tibesti. Ils se seraient établis au Kawar par migration ou par fusion successives, pendant son apogée économique au Moyen-Âge, incitant certain à prendre le mode de vie comme les Guezebida. Lorsque le pouvoir du Kanem s'est effondré au milieu du XIVe siècle, les Teda ont pu renforcer leur position. Ils avaient peut-être déjà établi une autorité sur les Kanuri, et étaient au moins en charge des villages du nord (Vikør 1999).
La conquête islamique
Ibn Al Hakam au IXè, est le premier à nous rapporter la conquête du Kawar par Uqba Ibn Nafi en 666 (Cuoq 1975). Après avoir conquit le Fezzan, il poursuit 15 jours au sud et rencontre la capitale du Kawar, une énorme forteresse à l’entrée du désert qu’il ne put prendre. Il se dirigea alors avec les autres ksar du pays les pris un a un. De retour à Kawar, il passa devant la ville s’en s’arrêter et fit demi-tour quelques jours après, pour les surprendre à revers dans leurs souterrains. Les troglodytes, dont on supposait qu’ils vivaient dans des grottes, quelques siècles plus tôt, habitent alors des souterrains au sein d’une forteresse, dédale de ruelles impénétrables, dont Djado nous est décrit par Charles Le Cœur.
Elle est bâtie sur une butte, au centre d’un demi-cercle de mares ; c’est un immense amoncellement de pierres à bâtir, sombres, faites de petits blocs irréguliers qu’on appelle ici pierre à pisé. Noyés dans le pisé, les habitants de jadis ont fait de cette butte une gigantesque fourmilière, à l’extraordinaire dédale de murs, de ruelles jonchées de débris, de passages souterrains, de maisons qui s’enchevêtrent et se superposent. Des restes de tours de gardes et de remparts crénelés, dominent cet ensemble, ou tout évoque le grouillement humain » (Decoudras et Durou 1994).
On ne sait pas si Djado est la capitale du Kawar au temps d’Uqba Ibn Nafi, mais elle est bien située à l’entrée du désert du Ténéré. Les ksar du Kawar/Djado s’échelonnent de Djaba jusque vers Agadem et ils sont réputés pour être plus récents que les débuts de l’islam. Mais sans fouilles archéologiques, on ne peut l’affirmer avec certitude, bien que les descriptions littéraires entre Al Hakam et la visite de Le Cœur nous font inévitablement faire le rapprochement, imaginant que sous les ruines actuelles du Djado se cachent les fondations de plus anciens habitats réutilisés.
Uqba ibn.Nafi trouvera le roi dans la dernière des forteresses. Il existait donc au sud un autre centre de pouvoir dans l'oasis avec son roi, suffisamment important pour mériter une attention particulière de la part du chroniqueur (Vikør 1999). Cette disposition des pouvoirs rappelle inévitablement les villes duales de l’ouest africain, où le pouvoir soudanais et le pourvoir économique ne fusionnent pas dans une seule et même capitale.
La pays des Garamante ayant périclité avant même l’islam, c’est Zawila qui va prendre la relève dans les échanges transsahariens. A la fin du premier millénaire de notre ère, les berbères de confession musulmane, Lamta pour certains, et maghrébins pour d’autres assurent à Kawar la traite des esclaves Zaghawa, Marawa et Murawa vers l’Afrique du nord. Et au sud de notre route, ce sont les Seyfuwa qui dès le VIIIè siècle étendent l’emprise du Kanem entre Borkou et Lac Tchad.
Au Xè siècle, ce sont les auteurs arabes qui toujours nous parlent du Kawar, à travers Al Muhallabi qui cite les villes de Bilma et Qasabar, probablement Guesebi, et Al Buruni qui englobe le Kawar dans le Kanem. Le sel et l’alun étant assurément un enjeu commercial, le premier pour le sud le second pour le nord. Zawila devient ainsi une ville à majorité soudanaise, plus ouverte sur l’Égypte des Fatimides que sur le Maghreb.
Pour Mattingly, la présence généralisée de ces castes dans une grande partie du monde soudanais/sahélien/saharien nous amène à considérer un monde manifestement très étendu, bien que mal défini, de populations soumises et non libres, souvent définies comme des esclaves. Au vu de leur omniprésence et de leur importance au sein des sociétés plus hiérarchisées, la reconnaissance archéologique de ces statuts reste insaisissable (Mattingly et al. 2019), et doit nous questionner sur la véracité de ses statuts rapportés par des étrangers qui ne connaissent même pas les lieux et les populations qu’ils évoquent, les préjugés ayant une certaine tendance à orienter le point de vue.
Pour Al Yakubi, la présence des Berbères au Kawar, doit s'expliquer par le glissement vers le sud du Sahara de tribus du nord de l'Afrique refoulées par l'avance des armées arabes le long du littoral, à partir du VIIè siècle, glissement qui s'accentua au XIè siècle avec les Hilaliens. De tous ces faits, une notion émerge, celle d'un Kawar carrefour, lieu de rencontre de populations variées soit Berbères, Zaghawa, Teda et autres Sudan. Chacun de ces éléments devait être plus ou moins métissé, à l'image des Zaghawa dont al-Muhallabi a écrit qu'ils étaient formés de nombreux peuples (Le Cœur 1985). Cette image de Kawar carrefour se reflète somme toute encore très bien dans la population Kanuri actuelle.
Le Kawar carrefour se matérialise aussi à travers certaines bipolarités. La plus fondamentale est la division ethnique et linguistique entre la population Teda et la population Kanuri. Cette division se reflète aussi dans les structures politiques et économiques de l'oasis : des deux principaux produits d'exportation, la production et le commerce du sel étaient entièrement entre les mains des Kanuri, tandis que l'autre, les dattes, était surtout le fait des Teda. Le Kawar avait deux capitales, Bilma et Aney. Le premier et le plus grand est le centre des Kanuri, du commerce du sel et des liens avec l'ouest. Aney est la ville dominante des Teda (Vikør 1999).
Le développement de la caravanière
Le développement du commerce transsaharien, au cours de la seconde moitié du premier millénaire, va s’appuyer sur les Ibadites. Repoussés sur les marges septentrionales du Sahara, ce schisme islamique kharidjite porté par les berbères, se matérialisera par la fondation d’États ibadites au Maghreb méridional essentiellement avec comme support économique le commerce transsaharien. La voie du Kawar n’échappera pas à cette influence, d’autant que les habitants du Kawar ne possèdent pas l’outil indispensable au développement du commerce. L’isolement des oasis en plein désert, ne permet pas d’entretenir des chameaux ou d’autres animaux pour transporter le sel produit. Kawar a donc toujours dû compter sur l’extérieur pour exporter sa production. L’arrivée de nouveaux modes de transport va donc développer les productions de sels et mettre les populations Kanuri à la merci de ceux qui possèdent le moyen de transport pour exporter les productions et ravitailler les oasis (Vikør 1999).
La direction principale des premières exportations de sel depuis le Kawar était directement le sud vers la région du lac Tchad, une partie pouvant ensuite passer à l'ouest vers le pays Hausa. Une seconde voie, évoquée plus haut, était utilisée du Djado vers Fachi puis le massif de Termit avant le Damergou - Damagaram. Les traditions sur l'origine de la production de sel évoquent Murzuq au nord. Les plus anciennes zones de sel auraient été Djaba et Djado dans les hauts plateaux de Djado. Plus tard, le centre s'est déplacé vers Seguedin, puis vers Gasabi, et enfin vers les centres actuels de Dirkou, Bilma puis Fachi. Lovejoy en déduit que les Touaregs ont d'abord commercé avec les villages du nord, en particulier avec Djado et Seguedin puis Bilma, plus rentable. Cette hypothèse semble raisonnable, il est en effet reconnu que les liens des Touaregs avec Djado sont plus anciens que ceux avec le Kawar (Vikør 1999).
Les villages fortifies du Djado, ressemblent en effet par certains aspects a des constructions ibadites. Le nom de Djado lui-même semble provenir du nom tout a fait identique de la principale ville du Djebel Nefusa. L'influence des commerçants ibadites durera jusque vers le Xè siècle, les Banu Khattab installaient à Zawila contrôlent dès lors le commerce sur la route centrale du Sahara et les commerçants berbères du Kawar ont certainement dû s'adapter aux circonstances nouvelles. Au XIIIè siècle ce sera le Kanem qui étendra son influence sur l'ensemble de la voie commerciale jusque vers Waddan et Zawila (Vikør 1999).
Les biens échangés
Pour la période pré-islamique, le long de la route du Kawar, il ne faut pas imaginer un commerce transsaharien régulier comme durant la période islamique. Mais plutôt une sorte de cabotage de proche en proche, qui a permis aux cultures en présence, de d’initier des relations de confiance indispensables à tout commerce et donc une certaine interpénétration des populations.
Les preuves littéraires nous renseignent sur les échanges en esclave et pierre précieuse comme la cornaline ou l’amazonite. Grâce aux travaux de Mattingly, l’archéologie nous permet de supposer d’autres types de produits échangés, peut-être l'or, et selon les probabilités géologiques, le natron et un peu de sel de table, d'alun et de soufre. Un certain commerce d'animaux sauvages et d'ivoire, a pu également avoir lieu (Wilson 2017). Liverani propose un modèle qui considère le commerce transsaharien comme dérivant de multiples réseaux intra-sahariens impliquant un large éventail de marchandises, y compris des marchandises en vrac échangées localement à côté des quelques produits de base ayant une véritable portée transsaharienne (Mattingly et al. 2017).
La marchandise la plus demandée donc par les romains semble être les esclaves et peut-être une demande aussi forte que lors de la période islamique qui suivra (Wilson 2012), mais tous les auteurs ne sont pas en accord avec cette importance du commerce pré-islamique. Les populations sahariennes ont avant tout besoin de main d’œuvre pour développer les cultures oasiennes. Il ne faut pas oublier également que la main d’œuvre est aussi nécessaire dans le Kawar pour l’extraction du sel et de l’alun. Il est donc possible que le terme esclave utilisé par les auteurs gréco-romain soit exagéré et que nous soyons ici, comme en Égypte, plutôt sur une masse ouvrière travaillant moyennant nourriture et protection. Car ceci n’empêche sûrement pas quelques tribus à faire des razzias pour fournir à l’empire Romain des esclaves dont des jeunes gens asservis. Il est donc suggéré que les adultes esclaves/ouvrier restaient dans le royaume Garamante pour fournir la main d’œuvre nécessaire à l’entretien des foggaras et que les plus jeunes alimentaient le marché Romain (Mattingly et al. 2017).
Nous avons donc des preuves assez claires d'un commerce d'esclaves, en particulier d'enfants, fournis par les Garamantes aux commerçants méditerranéens. Les itinéraires que nous pouvons lire dans Hérodote suggèrent que les ports de commerce comprenaient Siwa, où ils auraient été achetés par des commerçants égyptiens. Comme nous l'avons vu, une autre route partait d'Augila vers le "pays des mangeurs de lotus" (Fentress 2011). Lorsque le Royaume Garamante périclitera, la main d’œuvre devenue dès lors inutile au Sahara, Zawila deviendra alors l’un des ports esclavagiste de l’islam.
La main d’œuvre des oasis va ainsi servir à produire des biens demandés par l’Empire Romain et notamment les productions agricoles. Dattes, céréales, mais aussi cotonnades et textiles, sel et alun, permettront aux cités Garamante d’obtenir en échange les biens de consommations qui amplifieront la hiérarchisation sociale qui se met en place. Vins, bijoux, céramiques, autant de produits de consommations qui ne traverseront que peu le Sahara. Le Pays Garamante est donc une nation qui puise dans le Sahara des ressources comme la main d’œuvre, pour la transformer en production agricole pour le nord. Dans un tel système, les garamantes ont donc une société avec qui discuter au sud et qui a donc un minimum d’organisation pour faire ce troc. Ce commerce fut florissant du premier siècle de notre ère, jusqu’au début du troisième siècle de notre ère où l’avènement de Septime Sévère côté Romain, qui fit rétablir forts et limes, semblant mettre les relations sous-tension, d’avec les garamantes et autres voisins de l’Empire (Fentress et Wilson 2016).
Pour Wilson, la viabilité du commerce des garamantes dépendait de leur capacité à produire dans le Sahara central des biens recherchés par les peuples subsahariens, ou à faire vivre une population suffisamment nombreuse et forte pour qu'ils puissent simplement faire des raids sur leurs voisins, ou une combinaison des deux. Tant qu'ils pouvaient maintenir une agriculture irriguée à grande échelle, les garamantes étaient en mesure de contrôler le système commercial transsaharien (Wilson 2012). La combinaison de l'agriculture dans les oasis, du pastoralisme dans les environs immédiats et dans les montagnes, et du commerce transsaharien à longue distance, a permis au Royaume Garamante de prospérer sur les terrains accidentés du Sahara pendant plusieurs siècles (Lancelotti et Biagetti 2021).
On notera également qu’en raison de la nature du terrain, les chameaux ont été élevés comme des spécialistes régionaux, ayant du mal à s'adapter à des pâturages et à des sols inconnus. En outre, les guides et les caravaniers n'aimaient pas s'aventurer au-delà des régions qu'ils connaissaient bien grâce à leurs propres activités pastorales, non seulement parce que leur vie et leurs moyens de subsistance dépendaient d'une connaissance détaillée des points d'eau et des pâturages et de la façon dont ils réagissaient au stress climatique et saisonnier, mais aussi parce qu'ils devaient pouvoir compter sur des réseaux régionaux de parenté, de protection et d'information (Scheele 2017). Les connexions transsahariennes se mettront donc lentement en place, au fil des interpénétrations de ces réseaux.
Le Fezzan garamante fonctionnait donc comme une plaque tournante de routes commerciales sahariennes et transsahariennes antiques, il semble avoir échangé jusqu'au Kanem et au Lac Tchad, mais aussi potentiellement vers la boucle du Niger pour l’or. A cette vision dichotomique de la relation de l’État Garamante avec la zone sahélienne au sud et l’empire Romain au nord, comment se situe notre zone de l’Ighazer et plus globalement de l’Aïr ?
Les liens avec l’Aïr
A cette vision longitudinale des relations antiques entre l’empire Romain et le Soudan, comment se situe notre zone de l’Ighazer et plus globalement de l’Aïr ?
Atteindre le Kawar à partir de l’Aïr peut se faire à travers deux routes principales (Decoudras et Durou 1994 ; Vikør 1999). A partir de l’arbre du Ténéré au sud-est de l’Aïr, et depuis les vallées orientales au niveau de Tabelot et la vallée de Beurkot par exemple, qui constituait un point de regroupement des chameliers. C’est la route de la Taghlamt, la caravane de sel qui passe par Fachi, une étape intermédiaire avant d’atteindre Bilma (Brachet 2004). Une variante un peu plus septentrionale, employée par les migrants, évite la palmeraie de Fachi pour rejoindre le petit massif d’Achegour puis Dirkou, point de départ pour la Libye. Une autre voie relie l’Aïr au plateau du Djado, entre l’Adrar Bous et Chirfa, voie qui n’est guère utilisée actuellement, mais qui le fut très certainement lors des épisodes climatiques plus favorables, comme durant le néolithique, puisqu’on y retrouve les traces de la culture du Ténéréen. Abandonnées depuis les années 70, d’autres voies encore étaient empruntées, dénommées Tekaref et tournées vers l’Ahaggar, le Tassili et vers la Libye (Decoudras et Durou 1994). Ce sont certainement des voies plus anciennes, sud-nord, qui aujourd’hui ne servent guère qu’à la contrebande.
Au delà du commerce, ces routes seront aussi des voies de migration importantes pour les populations du Kawar vers le massif d’Abzin. Et il n’est donc pas étonnant de retrouver dans les traditions d’origines des populations de l’Aïr et du Hausa, des liens avec le Kawar. Ce sont notamment les Gobirawa, les Katsinawa et même les Daurawa qui seraient originaires du Kawar transitant par l’Aïr. Les fonds culturels au début de notre ère, ne sont pas clairement définis, et les noms que nous donnons à ces populations sont issus de leurs territoires d’implantation actuelle. Rien ne dit donc qu’elles étaient pleinement différenciées à cette époque et on peut même supposer que cela n’était pas le cas. Des hypothèses pourraient être émises sur les langages de ces populations, qui seront sans doute l’un des marqueurs culturels les plus utiles pour différencier ces cultures. Un autre marqueurs sera l’économie de ce populations très en lien avec le milieu qu’elles fréquentent et donc les relations qu’elles peuvent avoir avec les populations des milieux écologiques voisins.
Au delà des voies longitudinales, la naissance en Ighazer du domaine de Maranda nous donnera également l’occasion de voir évoluer les relations est-ouest entre l’Égypte et la boucle du Niger.
Références
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