La tête au soleil les pieds dans l'eau, ce n'est pas seulement nos vacances, c'est aussi le milieu de prédilection des dattiers. Son origine Persane en fait un arbre étroitement lié aux religions monothéistes. L’arbre roi du Désert dont l’homme admet qu’il a une origine divine particulière puisqu’Allah le tira des débris d’argile dont il venait de modeler Adam, donnant ainsi au dattier une place prééminente dans la Création (Camps 1995). Cette espèce emblématique revêt une énorme importance économique, symbolique et sociale dans toute son aire de culture traditionnelle, du Maroc à l'ouest, à la péninsule arabique et au nord-ouest de l'Inde à l'est. Son fruit sucré, la datte, est consommé depuis des millénaires et a servi d'aliment de base à l'agriculture de subsistance et de source de prospérité économique remontant aux premières civilisations du Moyen-Orient (Gros-Balthazard et Flowers 2020).
Au Niger, il est de tous les évènements sociaux et festifs (mariages, naissances) où l'on distribuera son fruit en remerciant les croyants venus réciter des prières collectives, mais aussi sous forme d'aumône pour les nécessiteux. Ou encore lors des fêtes comme le Bianou, le Mouloud ou l'on agite ses feuilles pour la grande parade, usages en vigueur depuis l’antiquité et qui semblait le signe de l’accueil réservé au vainqueur. Essentielle, son ombre offre à toutes les autres plantes un microclimat vital pour les cultures étagées des oasis, où les légumes sont protégés par les petits fruitiers, eux même protégés par les grands dattiers.
Un héritage ancien
Cet arbre à lui seul donne sa raison d'être à la ville d'In Gall. C'est grâce à lui que la petite ville a été fondée, il y a 5 siècles, par des Isheriffen venant ou revenant de la Mecque avec des rejets de dattiers, d’où le nom de la variété ou cultivar Almadeina « venant de Médine ». Pour trouver le meilleur site de développement de ces arbres, ils creusèrent des trous jusqu'à ce qu'ils trouvèrent le lieu qui convienne aux dattiers. Lorsqu'ils essayèrent d'en planter un à In Gall, il leur resta une partie de la terre du trou, qui leur signala que cette terre était bien aérée et convenait au dattier, les terres de toute la région étant argileuses (Bernus et Bernus 1972).
Ce serait ces mêmes Isheriffen qui achetèrent le lieu au Sultan d'Agadez, ce qui nous donne une date approximative de l'introduction du palmier dattier en Ighazer au XV-XVIè siècle. Mais il n’est pas impossible que cette légende concerne un autre Sultan ou sultanat comme par exemple celui précédent Agadez, le Royaume de Tigidda et compte tenu du développement déjà important du commerce transsaharien avant le Xè siècle, il est presque certain que le dattier soit déjà connu en Ighazer, notamment à Azelik, capitale Inussufane du Royaume de Tigidda, où des jardins et une palmeraie sont identifiés autour du XI-XIIè siècle (Bernus 1979 ; Bernus et Cressier 1992).
Cela ne doit pas étonner, car depuis Hérodote on sait que le palmier dattier est présent au Fezzan et au Tassili, citant ainsi la palmeraie de Audjila où les Nasamons y récoltent de l’été à l’automne les fruits, attestant ainsi sa présence au moins à partir de 450 avant notre ère (Larcher 1850). L’archéologie attestant d’une agriculture véritable dans les oasis libyennes comme Jerma à cette même époque (Le Quellec 2014).
Chevalier, cité par Lhote, propose que le dattier soit déjà à l’état sauvage en Afrique depuis semble-t-il le néolithique et que sa culture ait attendu l’usage du fer pour pouvoir couper les feuilles mortes, ce qui semble à peu près en concordance avec les peintures rupestres du Tassili qui montrent à Oua Mouline un dattier très clairement entretenu où des personnes grimpe pour chercher le précieux fruit. Ceci atteste à l’évidence d’un entretien du palmier dattier à une époque que Henri Lhote propose d’établir autour de la période cabaline des rupestres puisque les quelques représentations du palmier dattier se trouvent toujours associées aux chars volants de cette période, soit vers 1200-1000 avant notre ère (Lhote 1967). De nouveau l’archéologie retrouve des offrandes de dattes dans des tombes de la vallée de Tanezzuft au sud-ouest du Fezzan, à la moitié du deuxième millénaire, vers 1570 BE. On notera enfin, que sur les gravures rupestres le dattier est soit à trois stipes ou à deux pour l’oued Djerat. Ceci signifie très clairement que l’entretien du dattier se limite à l’accès aux fruits en hauteur et que les gourmands ne sont pas coupés, sans doute encore moins replantés.
Même s’il n’est pas certain que la culture du dattier ait atteint l’Ighazer dès cette époque, on se souvient de la cavalcade des jeunes Nasamons au sud du Sahara, qu’il est bien difficile de définir en terme de trajet (Hugot 1962), mais qui montre que dès l’antiquité le dattier a pu atteindre au moins les montagnes du Sahara central comme l’Aïr et le Tibesti, servant très certainement de nourriture pour les longs voyages.
L’art rupestre du Sahara témoigne donc de l’intérêt porté au palmier dattier à partir de l’époque des chars, soit dès la seconde moitié du 2è millénaire avant notre ère. Est-ce à dire que des palmeraies étaient entretenues et que la culture irriguée était pratiquée dès cette époque ? Les données actuelles ne permettent pas de répondre (Dupuy 2014).
La chronologie compilée par Gros-Balthazard, nous indique bien la présence du dattier à l’antiquité, notamment en Égypte et en Grèce et les indices archéobotaniques remonteraient même jusque vers le 6è millénaire avant notre ère, essentiellement dans le Moyen-Orient (Gros-Balthazard et Flowers 2020). Tout du moins pour ce qui peut apparaître comme des artefacts matérialisant la domestication de cette espèce, la datte faisant partie du régime alimentaire des Néandertalien, il y a 50 000 ans.
C’est d’ailleurs du côté du Moyen-Orient qu’il faut chercher les origines de la domestication du palmier dattier, probablement autour du 4è millénaire avant notre ère puis se serait répandu à travers l’Afrique du nord à l’époque romaine. Des études génomiques récentes suggèrent que des populations relictuelles de dattiers sauvages qui persistent aujourd'hui dans la péninsule arabique à Oman, fournissent des preuves de vastes échanges est-ouest de palmiers dattiers à l'apogée de l'Empire romain sur la base de l'ascendance génétique (Gros-Balthazard et al. 2017).
Différent scénario sont élaborés sur la domestication du palmier-dattier, mais le débat reste ouvert sur l’apport d’une souche sauvage africaine de l’arbre roi. Dans tous les cas, il semble avérés que les zones de domestication furent le Moyen-Orient, la méditerranée orientale ainsi que le nord-est de l’Égypte. Le Maghreb ne semble accueillir la culture du palmier dattier que quelques siècle avant notre ère (Gros-Balthazard et Flowers 2020).
S’il n’est pas impossible que l’Ighazer et l’Aïr aient connu la palmier dattier à l’antiquité, il se peut plus sûrement que cette rencontre entre le terroir argileux et l’arbre roi se soit faite plutôt à la dispersion des Garamantes, dans les premiers siècles de notre ère et que l’islam renforça sans nul doute cette culture divine. Les premiers porteurs de l’Islam en Ighazer furent les Igdalen et Iberkoreyan vers le 8è siècle de notre ère qui sont Isheriffen, rebouclant ainsi avec la légende venue de Médine !
Les premières palmeraies créées en Aïr semblent être plutôt dans le nord du massif vers le XVIème siècle à Iférouane aux abords du Mont Tamgak mais qui aurait depuis fortement régressé. Cette régression, peut être du fait de la disponibilité en eau, c’est peut être faite au profit des vallées du sud du massif des zones proches d 'Agadez, Telwa, Tin Tebesguine, ou vers le sud-est du massif à Tabelot – Affassas (Girard 1980).
A cette même époque la culture du dattier est fortement probable dans l’unique oasis de l’Ighazer à Takedda (Bernus et Cressier 1992), durant l’épanouissement du royaume de Tigidda à partir du XIè siècle.
La culture du dattier à In Gall
Le palmier est à première vue l'unique ressource des populations d'In Gall avec le sel de Tegidda n'Tesemt. Il leur fournira bien entendu ses dattes, les plus succulentes du pays qui sont de la variété largement prépondérante dans toute la palmeraie, Almadeina, mais aussi les palmes pour les nattes, le bois pour la construction. A In Gall, la variété Almadeina est la fierté de ses habitants, datte à chaire molle très sucrée, il n'y pas d'équivalent au Niger et sans doute dans tout le Sahel. On pourrait sans doute la comparer à la variété « Sukary » du Moyen-Orient, une datte molle et très sucrée qu’affectionne la Péninsule, à la différence des dattes maghrébines qui sélectionnent plutôt des variétés sèches (Gros-Balthazard et Flowers 2020).
Pas d'équivalent non plus du savoir-faire des phœniciculteurs, pour la sélection des variétés, qui pratiquent la plantation par rejet et la fécondation manuelle. On a encore peu d’explication sur la provenance de ce savoir-faire unique au Niger et digne des palmeraies maghrébines, à moins que ce soit les Isheriffen qui ramenèrent aussi ces techniques de leur pèlerinage à la Mecque. La propagation clonale des palmiers dattiers serait une pratique très ancienne, la plus ancienne preuve provenant d'un récipient en pierre tendre qui montre probablement une scène de propagation de palmiers dattiers par rejeton, datant de la seconde moitié du troisième millénaire avant notre ère (Tengberg, 2012 cité par Gros-Balthazard et Flowers 2020).
Le rejet du dattier dont on souhaite conserver le fruit est appelé "agulgul" et peu produire dès trois ans après sa plantation, mais plus sûrement cinq ans après. Cette multiplication végétative présente donc plusieurs avantages par rapport à la reproduction sexuée. Premièrement, elle permet de s'assurer qu'une femelle va se développer alors que lors de la plantation de graines, le rapport mâle/femelle est de 50/50. Ensuite, la phase juvénile est réduite et les palmiers dattiers fourniront plus rapidement les fruits recherchés. Enfin, et surtout, la multiplication végétative permet de sélectionner des individus présentant des traits phénotypiques intéressants.
La technique de décrochage du rejet est délicate et se fait par des spécialistes, une quinzaine dans la palmeraie d’In Gall qui se font rémunérer pour ce travail, qui peut prendre une heure selon la grosseur du rejet. C’est le moyen de propagation unique pour la variété Almadeina. La sélection d’autres variétés est néanmoins toujours vivace à In Gall, comme en témoigne plus bas le recensement des noms des cultivars en laissant toujours quelques dattiers issus de noyaux prospérer, dans le but également de renouveler les dattiers mâles nécessaires à la pollinisation de cette plante dioïque.
Un jeune dattier qui a déjà produit peut être "déplacé", il est alors dit "tamagellet", c'est à dire qu'on peut le replanter à un autre endroit sans grand risque. Plus âgé, le risque de mortalité augmente mais certains le pratique néanmoins. Les anciens racontent souvent que sur un vieux dattier près à tomber, on lui coupe la tête et on le replante avec succès. Cette pratique ne se fait plus guère, sans doute à cause d'une réussite bien moindre. Car le savoir-faire des Isawaghen est aussi celui de l'arrosage, beaucoup en saison pluvieuse, moyennement en saison chaude. Après 10 ans, le dattier est à maturité, il est alors "tazey", le dattier en Tamasheq.
La pollinisation de l'inflorescence femelle est nécessaire au développement des fruits et à sa bonne maturation, pratique connue depuis le 3è millénaire avant notre ère par les sumériens. Les palmeraies possèdent généralement 95 à 99 % de palmiers femelles producteurs de fruits. Le choix d'un tel sex-ratio artificiel nécessite alors une pollinisation manuelle car la très faible proportion de mâles dans les jardins ne permet pas la pollinisation naturelle de toutes les fleurs femelles, ce qui entraînerait une perte de rendement en fruits (Gros-Balthazard et Flowers 2020).
Des épillets de fleurs mâles sont alors pliés en deux et ficelés longitudinalement et transversalement avec de la fibre végétale, l'ensemble formant une sorte de navette ajourée de 4 18 centimètres de long pour un diamètre de quelques centimètres. Ces épillets conditionnés sont insérés dans les inflorescences femelles à l'époque propice, Après avoir joué leur rôle, ils sont récupérés, laissés à l'ombre dans un endroit frais de la palmeraie puis stockés à l'intérieur des habitations avant la saison des pluies. Ils sont réutilisés l'année suivante où à l'occasion d'une double floraison, en dehors du cycle normal où les mâles n'émettent généralement pas de fleurs (Lenormand 1986). Jean Léon l’Africain décrit le même processus dans la région du Drâa-Tafilalet au XIVè siècle de notre ère (Scheffer 1898).
Si l’on devait rechercher la variété de datte susceptible de concurrencer la Deglet en nour, c’est la Medjhoul du Tafilalet qui viendrait en tête. Cette datte marocaine qui a été introduite dans les oasis de la Saoura, possède un parfum très prononcé et est aussi sucrée (Camps 1995). autres point commun entre cette région marocaine et In Gall, dans une oasis de dimension moyenne comme Tabelbala, à l’ouest de la Saoura, qui possède 18 000 dattiers, les cultivateurs reconnaissent 17 variétés de dattes sèches et 21 de dattes molles (Camps 1995). Ce parallèle des savoir-faire entre ces deux palmeraie se poursuit également dans la langue de ces palmeraie, qui toutes deux ont un langage mixte à base songhay/tamasheq/arabe qui tisse des liens à près de 2000 kilomètres de part et d’autres du Sahara.
A In Gall, la fécondation manuelle est un moment important surtout pour la variété Almadeina qui ne se féconde pas autrement. Les fleurs du dattier mâle "amali", sont nouées avec celles du dattier femelle : c'est le mariage. Le chant qui accompagne cette technique remercie Dieu de les rendre féconds, à l'instar d'un jeune couple. Certains "amali" sont plus féconds que d'autres mais peuvent féconder toutes les variétés sans distinction, ils sont très peu nombreux à In Gall car un seul "amali" peut féconder des dizaines de "tazey". Les "amali" sont choisis spécifiquement pour la fécondation de la variété Almadeina, car celle-ci requiert des pieds mâles bien spécifiques. Pour cela le jeune pied mâle sera testé une, voire deux années de suite, pour savoir s'il convient bien à la fécondation selon la réussite de la production. La fécondation se fait en janvier-février durant la saison froide, mais n'aime pas les coups de vent qui dispersent trop le pollen. Amali est un mot Tamasheq qui signifie également le mâle chameau en rut (əmeli) (Afane 2015)
Le mariage se fait en chanson, les paroles mélangent des mots arabes qui font références à Dieu, tamasheq qui font références au dattier et hausa pour les autres, sans doute une déformation récente !
Allahou akbar Amali tazey Dieu est grand le mâle des dattiers
Amali tazey dan Karoua le mâle des dattiers pour augmenter
Tighrey bismi rabana femelle dattier commence avec Dieu qui te protège
Jean Léon l’Africain au XVè siècle décrit le même processus dans les palmeraies de la vallée du Draâ et la région du Tafilalet entre Maroc et Algérie (Scheffer 1898), et ne relève cette technique que dans cette palmeraie parlant même de deux variétés, les mâle et les femelles, comme si cela n’était pas connus ailleurs ! Ibn Battuta note également que les dattes de la vallée du Tafilalet sont les plus succulentes qu’il soit (Defrémery et Sanguinetti 1858). Si les pieds mâles et femelles existent de fait dans toutes les palmeraies pour une plante dioïque, ces témoignages dénotent néanmoins un savoir-faire particulier dans cette région du Maroc, que l’on peut mettre en relation avec l’autre origine des Isheriffen de l’Ighazer et en particulier des Igdalen qui seraient issus de la région de Fez.
La récolte se fait au mois de juillet avec les premières pluies. Certains dattiers en certaines saison peuvent avoir aussi une seconde récolte en janvier, ce qui est très rare aujourd’hui, phénomène que l’on peut peut-être mettre en parallèle du type de mousson, qui vers 3500 BE était encore un régime hivernal et de mousson, puis passa progressivement à un régime unique de mousson. Aujourd’hui le manque de pluie est le facteur limitant de cette seconde production aux dires des jardiniers phoeniciculteurs.
La récolte et le séchage ensachage des dattes sont aussi des techniques spécifiques à In Gall. Alors que partout ailleurs au Niger on coupe le régime entier avant sa maturation totale, à In Gall on égrène une à une les dattes mûres sur le régime. Elles sont ensuite mises à sécher pour les plus molles avant d'être ensacher dans des "abokal", sachets tressés avec des palmes de dattier, encore un savoir-faire local émerveillant même les oasiens maghrébins.
Très souvent, les jardiniers recouvrent de terre le pied des stipes de dattiers, dans le but de les protéger, recouvrant ainsi les racines aériennes du dattier. Ceci entraîne vraisemblablement une pousse en hauteur des dattiers et un cône de terre original au pied du dattier.
Les dattes d'In Gall
Contrairement aux nomades, les oasiens préfèrent les dattes molles, aussi n’est-il pas étonnant que dans les palmeraies alternent des palmiers porteurs de dattes dures et d’autres donnant des variétés de dattes molles (Camps 1995). Mais In Gall n’est pas une palmeraie d’exportation et les cultivars secs ne sont quasiment pas produit.
Le cultivar Almadeina fait la renommée de la palmeraie et du savoir-faire des phœniciculteurs d'In Gall : une "datte patrimoine" comme l'a décrit Anne Luxereau dans son article sur les produits patrimoines du Niger (Luxureau 2005). Pourtant Chudeau en 1909 précise : "On a cru longtemps que les dattes d'In Gall étaient de qualité inférieure car, par crainte de pillage, les propriétaires les cueillaient dès qu'elles commençaient à mûrir ; depuis que la présence de tirailleurs permet d'attendre la maturité, on a pu s'assurer que les dattes étaient bonnes. En 1907, le grain ayant manqué, la récolte a été assez abondante pour nourrir la population pendant trois mois" (Chudeau 1909).
Almadeina est une datte très sucrée et à chaire abondante, plus ou moins grosse selon les saisons et surtout la pluviométrie. Elle doit son nom à la capitale islamique "Médine" en Arabie Saoudite d'où elle est originaire, ramenée selon la tradition orale par des Isherifen de retour de leur pèlerinage.
Après avoir cueilli les dattes, on peut récupérer le jus qu'on peut boire ou utiliser comme le miel en le mélangeant avec "la boule" (mélange de mil et de lait). C'est ce jus qui fait qu'il est difficile de la conserver longtemps. Autrefois le jus était laissé à fermenter et était très apprécié des femmes notamment. En raison de la réduction importante de la palmeraie suite aux sécheresses des années 70 et 80, elle ne peut aujourd'hui produire de grandes quantités, les prix restant néanmoins très rémunérateurs.
Cette variété n’est possible que par plantation de rejets. Elle ne se trouve nulle part ailleurs qu'à In Gall et Médine ! Les gens ont tenté de reproduire cette variété à Tegidda n' Tesemt, Arlit, Niamey et dans la région de Tahoua mais n'y sont pas parvenus. Une fois planté ailleurs, le rejet pousse bien, mais ne fera jamais les mêmes fruits.
A côté de la variété "Almadeina", il existe un ensemble de cultivars rassemblés dans le groupe dit "Tombaye". Les variétés Tombaye, on en recense à In Gall 18 variétés principales et quelques sous-variétés qui sont plus ou moins spécifiques à cette palmeraie. Le tableau ci-joint en dresse l'inventaire, réalisé en 2000 selon les critères des jardiniers d'In Gall. Un catalogue photographique est en construction sur ce même site.
Catalogue des dattes
Nom (variété) | Signification | Couleur du fruit | Forme | Texture | abondance |
---|---|---|---|---|---|
Almadeina | rouge foncé | peu long | molle | +++ | |
Sintilagazan = Talikat (3) | rouge vert ou blanc | rond | molle | ++ | |
Bosso Bosso | les cendres | couleur cendre | long | molle ou sèche | + |
Talharma | rouge | long | molle | ++ | |
Kani héré (6) | dormmir avec la faim | blanc/rouge/noire | très long | molle | ++ |
Mousdoul | rouge | long gros | molle | + | |
Atiratinna | rouge | petit mince | molle | + | |
Tuwila | fruit rapellant ceux de l'arbre Sclerocarya birrea | blanc | rond | molle | + |
Talittat | rouge | long | molle | + | |
Tangal | se cueille mûri à moitié | long | 1/2 molle | ++ | |
Bagbara | pas très rouge | grande | molle | + | |
Madagdabé | vert | long rond | molle | ++ | |
Tombay koray | blanc | long | molle | ++ | |
Tayni firizi | datte verte | vert | long | molle ou sèche | ++ |
Guéwess = Dagla | blanc | très long | sèche | ++ | |
Tan zerak | blanc | peu long | molle | + | |
Tan wallak | blanc | mince long | molle | - | |
Bita bita (Bila) | blanc | rond | sèche | - | |
Madina | pas très rouge | très long | molle | + |
Edmond Bernus, d'après un rapport des eaux et Forêts de 1958, cite d'autres noms que nous n'avons pas recensés : Talagag, Teletad, Tinzer funu (nez pourri), etc (Bernus et Bernus 1972). Il est probable que certaines n'existent plus car la dynamique de préservation des variétés est telle à In Gall, que celles qui sont peu réputées n'ont que peu de chance de passer plusieurs générations. De plus les échanges se faisant de proche en proche, certaines variétés sont plus installées dans tel ou tel quartier, par exemple Tangal à Ghyia. Enfin, un jardinier donne un nom à un dattier dont il possède le seul représentant dans la palmeraie, ce qui peut faire varier les listes de variétés d'un informateur à l'autre. Ainsi nous avons mis en gras dans le tableau 5, les variétés que l'on recense aujourd'hui et en 1958, et qui paraissent être une base de cultivars solidement installés auprès des jardiniers. Cela fait donc ressortir 14 cultivars stables et 1/4 de cultivars "éphémères" qui, s'ils ne sont pas retenus par les jardiniers, s'éteindront peu à peu et sans doute remplacés par d’autres. Tel est le cas de Bita bita qui n’existe plus au début XXIè siècle.
Liste des noms de variétés aujourd'hui apparemment disparues :
Nom | Signification |
---|---|
Talaga | il s'agit certainement de Talikak (famille Talharma) |
Taletad | existerait encore |
Ahratena | n'existe plus |
Doungouri | le haricot, peut-être qu'à cause de la forme de ses dattes |
Kakakoye | qui a des déchets (défection) |
Tagalamguelam | donne des dattes précoces |
Kienbokoukou | juste parce qu'il a des réjets long. Mains longues |
Tonita | certainement mal écrit |
Tennikoray | dattes blanches, peut être autre nom de Bita bita |
Takarambout | dattes maigres et sèches, cela arrive dés fois, ce n'est pas éternel |
D'autres noms sont donnés aux dattiers :
- Zan Taguimba, c’est un nom qui n’est pas commun selon les jardiniers, spécialement donné à un dattier par le propriétaire pour des raisons qui lui sont propres,
- Tamazala, c’est un dattier donné à une femme mais ce n’est pas une variété,
- Tazagalgal, n’est pas également une variété, on l’appelle ainsi parce qu’il est couvert de beaucoup de palme sèche.
Le nombre de dattiers
En 1907, Chudeau évalue rapidement la palmeraie à 4000 dattiers. En 1926, Rottier précise 2400 et en 1929, le prince Sixte de Bourbon estime le nombre de dattiers à environ 2000. Brouin en 1941 évalue à 5180 et Edmond Bernus cite dans son ouvrage sur les palmeraies de l'Aïr un chiffre d’un rapport des administrations locales datant de 1958 comptabilisant 10 083 dattiers à In Gall (Bernus et Bernus 1972), ce qui apparaît largement surdimensionné. Enfin, Lenormand comptabilise en 1986, 5684 pieds de dattiers précisément dont 1500 environ en voie de disparition, 2500 sujets grands à moyens et 1500 jeunes. Il précise 356 dattiers à l’hectare (Lenormand 1986).
Il est certain que les informateurs et autres inventeurs ayant rapporté ces chiffres, ont usé de méthodes différentes pour exprimer une comptabilité qu’elles soient au jugé pour certains, assises sur les dires des résidents, ou encore inventorié par des densités moyennes, on sait la difficulté de l’exercice si l’on ne rentre pas dans chaque jardin pour préciser un chiffre. Car les propriétaire peuvent sans peine exagéré ou minimiser leur patrimoine, de plus il est très fréquent à In Gall qu'un dattier appartienne à plusieurs personnes, ce qui évidemment apporte des doubles comptes si l’on ne rentre pas dans les jardins.
La surface des quartiers les plus anciens de la palmeraie est d'environ 71 ha (d’Akalel à Ghiya) multipliée par la densité moyenne de dattiers dans les quartiers à grands dattiers soit 65 à l'hectare, nous donnerait un nombre de dattiers voisins de 4615, ce qui doit être un maximum. En 1975, il était relevé 150 parcelles, soit une surface de 50 ha (avec 0.33 ha par jardin) d'où un nombre de dattiers voisins de 3250 toujours en valeur maximale, car il est difficile de se persuader que toutes les surfaces étaient exploitées avec une telle densité de dattiers et le chiffre moyen de 2500 stipes pour la palmeraie d’In Gall paraît des plus raisonnable. Sur la photo aérienne de 1954 de l'IGN, on relève que les dattiers sont concentrés sur Ghiya, Tama Henen, Korey Futu et la partie centrale d’Akalel, soit une quinzaine d'hectare et moins de 1000 stipes.
Aujourd'hui la palmeraie compterait environ 2600 dattiers, évaluation faite à partir des images satellites. Ces vues satellites nous permettent de préciser un ordre de grandeur sur les dattiers supérieurs à 5 mètres, environ 500 stipes, régressant sans doute fortement ces 50 dernières années. En réponse à ces constats, les phœniciculteurs ont planté d'autres dattiers sur d'autres terrains. La palmeraie est actuellement composée aux 3/4 de jeunes plantations contre la moitié en 1958 selon un rapport cité par Bernus, ce qui semble encore le cas en 1986 (Lenormand 1986).
Utilisation du bois et des palmes
Les palmes servent à confectionner des nattes qui sont très prisées car beaucoup plus lisses et chaleureuses qu'avec les palmes du palmier Doum. Elles ne sont produites que pendant la récolte, car on ne peut pas toujours prélever les palmes, la production de dattes étant prioritaire sur cet usage. On tresse également avec les palmes, les sachets contenant les dattes pour la vente, ou "abokal".
Le tronc du dattier, à sa mort, peut être débité en 2 parties et peut ainsi servir de poutre dans la construction ou de support au portail d'un jardin. La nervure centrale des palmes, qui peut atteindre 3 mètres, sert également à la confection de l'armature d'un lit, sur lequel on posera des nattes et couvertures.
Son économie
Posséder un dattier à In Gall est la certitude d’un revenu annualisé loin d’être anecdotique, surtout si celui-ci est en âge de produire une récolte. En effet, un très bon dattier peut fournir à lui seul 10 cartons de 15 kg de dattes soit 150 kg. Le dattier peut apporter de nos jours 100 000 Fcfa à son propriétaire (environ 1 €/kg). Ainsi posséder une dizaine de grand dattier peut suffire à subvenir aux moyens d'une famille, c’est pour cela que les autres cultures, maraîchères et fruitières, ne sont pas très développées à In Gall. Le dattier est plus rémunérateur et demande aussi moins de travail que le maraîchage. Les années antérieures un bon dattier donne plus du double ou du triple de la production actuelle. Cette baisse de production est due à l’insuffisance des précipitations constatée depuis 1974, mais a aussi fait grimper les prix, puisque la demande de l’unique datte molle du Niger est grande jusque dans la capitale nigérienne.
Posséder un dattier
Pour posséder son dattier on peut tout simplement l’acheter parce qu’on veut une variété spécifique ou si le propriétaire à un besoin d’argent, ou acheter la récolte par avance.
L’héritage est sans doute le meilleur moyen de posséder un dattier. Lorsqu’un propriétaire décède, ses biens sont partagés selon les coutumes musulmanes, ainsi le dattier n’échappe pas à cette règle. Prenons l’exemple d’une personne qui a un jardin de 16 dattiers qui, après son décès, laisse une veuve, cinq garçons et 4 filles. Voilà comment se présente le partage d’héritage : la veuve a 2 dattiers, les garçons ont 10 dattiers soit 2 chacun, les filles ont 4 dattiers soit 1 dattier chacune.
Un moyen plus astreignant sera de planter soi-même son dattier, dans son jardin ou dans le jardin commun à toute la famille ; il faudra bien entendu prévoir son entretien, notamment l’arrosage.
« L’addawal » dans la langue courante à In Gall signifie « promesse ». On peut donner un dattier « addawal » à quelqu’un s'il est gravement malade. Ce dattier ne lui appartiendra que s'il est guéri. Une personne peut avoir un dattier « addawal », si elle est égarée dans la brousse. Un membre de la famille ou un ami peut lui donner un dattier si on la retrouve.
Le dattier peut également se donner en dote de mariage mais cela ne semble plus trop se pratiquer. Et lorsqu’une femme quitte la maison de son mari, pour qu’elle revienne le mari lui donne un dattier, ou si le mari prend une seconde épouse, le dattier devient « Tamazala ». En Tasawaq ce mot signifie rendre heureuse une personne. En plus si on donne un dattier à une femme, ce dernier ne sera jamais hérité par un homme, quelles que soient les circonstances. Ce dattier suit la lignée des femmes, il est dit « Alhabouss ».
Un jardinier peut faire cadeau d’un dattier à un membre de la famille, en raison de son obéissance à celui-ci, parce que la personne a réussi à un examen coranique, ou à une fille qui se marie lorsqu’elle quitte sa famille pour vivre chez son mari.
On peut désigner un dattier dans un jardin ; il appartiendra à celui qui paie le cercueil au propriétaire après sa mort.
On peut donner à quelqu’un la récolte d’un dattier pour une ou plusieurs périodes. On peut aussi donner la récolte d’un dattier à la mosquée. Personne ne touche aux fruits de ce dattier, chaque récolte est amenée à la mosquée, elle est destinée aux marabouts. On peut aussi désigner un dattier dans un jardin, la récolte de ce dattier appartient à toute personne qui passe devant le jardin au moment de la récolte.
Si une personne entretien un dattier qui ne lui appartient pas, elle a un régime par dattier quel que soit le nombre des régimes sur le dattier.
Tout ceci fait que, dans un même jardin, on retrouve le plus souvent plusieurs propriétaires de dattiers et que chaque jardinier a des dattiers dans plusieurs jardins, ainsi chaque arbre à une histoire complexe.
Les maladies
La palmeraie d’In Gall se trouve affectée depuis une quarantaine d’années par la cochenille blanche (Parlatoria blanchardi) ou "pou du dattier". Les sécheresses successives et la baisse de la nappe phréatique ont fait proliférer cet insecte au point de bloquer la croissance des palmiers les plus jeunes, pouvant aller jusqu'à leur mort. La productivité générale en dattes a aussi été grandement atteinte.
La lutte biologique par l’introduction d’une coccinelle prédatrice (Chilocorus bipustulatus var iranensis) a été effectuée dans les années 80, elle est toujours présente mais ne limite plus suffisament les populations de cochenille. Elle ne parait donc pas suffire actuellement pour diminuer ce parasite, sans un renouvellement de sa population.
Des essais de traitement biologique ont été réalisés en 2001 par l'association Almadeina (Almadeina 2001). Régulièrement, des jardiniers demandent qu'on leur prépare cette solution pour les dattiers, cela signifie qu'ils connaissent cette solution et savent en user en cas de gros développement de ce parasite pour le faire rapidement diminuer. Cette solution consiste en un mélange à part égale d’huile alimentaire, de savon noir et d’alcool à brûler. Le savon noir sert d’émulsifiant de la cire des larves, l’alcool attaque le parasite et l’huile a une action protectrice de la palme.
Une technique traditionnelle existe mais n'est plus usitée, peut-être à cause de la rareté de la plante utilisée, le Talifumbo. Les fleurs et surtout le pollen, devaient servir à cette technique mais les usages actuels ne nous ont pas permis de retrouver la véritable technique. Nous n'avons d'ailleurs rencontré Pulicaria crispa qu'une seule fois dans l'ouest de la palmeraie, si toutefois c'est bien la plante appelée Talifumbo. Fort heureusement, le Bayoud semble absent à In Gall et en général dans les palmeraies sahéliennes.
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