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    Des Monolithes au sud-est de l'Aïr

    En 2005, quittant Fachi au cœur du Ténéré pour rejoindre Agadez, la petite caravane de sept motards évite l'arbre du Ténéré pour passer plus au sud entre l'Aïr et les falaises de Tiguidit. Philippe Laborie qui ouvrait la route, remarque une silhouette étonnante dans ce paysage où il n'y a guère âmes qui vivent. S'en rapprochant, il tombe sur un ensemble de monolithes atypiques dans cette région de l'Aïr. Le paysage est ténéréen, un sable léger, quelques dunes de-ci de-là, un horizon d'une grandiose monotonie. Atypique car on n'en retrouve pas de semblable dans la région, les plus proches assez similaires pouvant être ceux de Tondidarou au Mali que certains rapprochent d'un autre site majeur en Afrique de l'est recelant plus de 10 000 monolithes dans la province de Sidamo au sud de l'Ethiopie. Leur point commun, qui n'en fait pas une liaison certaine, est la forme phallique de ces monolithes que l'on retrouve en partie à Tondidarou et qui vénère le culte de le virilité et de la fécondité.

    laborie 444Des concentrations de stèles, comprenant dans certains cas des centaines de monolithes, ont été enregistrées depuis le début du 20ème siècle au Sahara occidental, bien que leur âge soit généralement inconnu. (Brooks et al. 2003). Des preuves importantes de dépôts de pierres de type menhir sont mentionnées aussi à Tabelbalet dans le Grand Erg oriental. On trouve également un complexe mégalithique à Napta Playa, dans le Sahara égyptien, daté du VIe millénaire BP (Kunz 2002).

    Mais rien de tout cela sur ce site à proximité de l'Adrar Youelt, on serait en présence d'un site original pour le moment sans équivalent. D’ailleurs, de mémoire d’inventeur, aucunes inscriptions n’a été observée sur les pierres de ce site, ni même de gravures voire de tailles décoratives. Il est même assez douteux que ces monolithes aient été taillés, du fait qu’il n’y a pas d’homogénéité de l’un à l’autre dans les formes, tant verticalement que sur la grosseur des pièces, comme si ces pierres avaient été simplement débitées grossièrement en fonction de ce que la nature propose. On note tout de même une caractéristique commune qui est que le sommet des monolithes est le plus souvent pointu ou tendant vers une pointe. Cela dénote d’avec les monolithes de Bermans au pied du massif d’Edjer près de l'erg Tihodaïne, au cœur du Sahara central, dont les têtes sont arrondies. Revu en 1993 par Kunz, l'importance de cette découverte réside dans son rattachement à une vaste zone d'habitat dont l'éventail s'étend du paléolithique au néolithique (Kunz 2002).

    En terme de chronologie, rien n'est moins sur, mais pour Tondidarou les datations des buttes anthropiques voisines qui seraient contemporaines, ont mis en évidence des époques autour des VIIè et VIIIè siècle, déclinant au début de l’apogée de l’empire du Ghâna vers le Xè siècle (Dembélé et Person 1993). En Éthiopie, les formes phalliques seraient antérieures au XIIè siècle (Tixier 2018). Il existe également des monolithes au Nigeria, celui d'Oranmiyan par exemple peut-être du début du deuxième millénaire de notre ère et également dans la Cross-River au Ghana, les monolithes d'Akwanshi, plus vendus sur le net qu'étudiés ! En Afrique du Nord, le mégalithisme offrent quelques monolithes, comme la tombe supposée d'Antée au Maroc, le plus souvent associés à des tertres, Mzora, Djebel Mazela (Camps 1961), ou encore le monolithe d’Aousserd au Sahara occidental. Ce dernier, ainsi que la Mauritanie recelant plusieurs ensembles de pierres dressées (Vernet 2014).

    On notera enfin, que ce site est dans un environnement peu clément, actuellement ténéréen, et qu'il y a donc trop peu de ressource pour une vie durable en ces lieux. Ce ne fut pas le cas tout au long de l'histoire saharienne et notamment durant la période néolithique qui vue diverses épisodes climatiques, du plus clément au plus rude, et donc la possibilité que des populations eurent de s'installer. Parmi elles, on citera celles qui occupèrent le site voisin de Gobero, situé à soixante-dix kilomètres au sud-ouest de ces monolithes, sur au moins deux périodes anciennes, vers 7700-6200 BCE de culture kiffienne, des mechtoïdes que l’on retrouve aussi au nord du Mali dans la région de Tombouctou, puis vers 5200–2500 BCE d’une culture ténéréenne de groupes soudanais, avant de voir ensuite l’aridification du climat actuel se mettre en place (Sereno et al. 2008).

    laborie 444La durée des occupations plaident évidemment en faveur de la présence de plusieurs autres sites de ce type dans cette région, enfouis sous les sables et que les alizés découvriront un jour peut-être. Thierry Tillet d’ailleurs, lors d’un échange visuel, me signale des éléments similaires dans la zone d’Areschima quelques 100km plus au nord. Des éléments similaires semblent aussi avoir été repérés par Jean-Pierre Roset, toujours à Areschima, des pierres dressées de deux mètres, profondément fichées dans le sol autour d’une bazina (Roset 1977). Ce qui réuni ces deux sites sont donc les pierres fichées dans le sol, car ce ne sont pas des éléments très courants en Aïr.

    Également en Aïr oriental, on retrouve un tel monolithe réutilisé dans une mosquée à Ekad ou servant de mirhab pour des mosquée de plein air. Enfin, Mauny citant Bouesnard nous rapporte également dans cette même zone, des cercles de monolithes de 1,50 à 3 mètres par exemple dans la vallée de Tafidet (Mauny 1976).

    Je noterai également que cette région de Gobero/Yaouelt est aussi la limite méridionale de la répartition des monuments funéraires lithiques, recensés en Aïr à déjà plus de 150 000, et pouvant ainsi marquer une interface autant culturelle qu’environnementale. Peu de référence, peu de chronologie certaine, pas de finition des ouvrages, une zone ensablée peu explorée font de ce site une énigme à laquelle nous tentons ici d'apporter bien modestement notre contribution, ne serait-ce qu'en le faisant connaître..


    Description du site

    laborie 444La photographie 429 montre un monolithe que l'on retrouve sur la photographie 444 et qui nous permet d'évaluer sa dimension. Notre ami Touareg mesurant 1,80 mètre, le monolithe émerge à près de 3,5 mètres du sol. Il apparaît monté sur un petit monticule empierré de moins de 1 mètre. Si l’on postule que ce monolithe est enterré de 1 à 1,5 mètre, sa taille totale voisine les 5 mètres. Au premier plan, on observe de grosses pierres ensablées qui devraient être des monolithes d’environ 1 mètre et une bien dressée que l'on retrouve sur la photographie 434. A droite derrière le grand monolithe émerge un petit monolithe pointu que l'on retrouve sur la photographie 436. Tout autour d'autres artefacts de monolithes couchés dans le sable et au second plan un espace qui semble entouré de pierres dressées.

    La photographie 430 nous montre un second monolithe de grande taille très certainement supérieure à 3 mètres et sans doute proche des 4 mètres. Sa taille totale pourrait dépasser les 5 mètres, en outre il apparaît plus massif que le premier. A son pied un amoncellement de pierre comme pour le précédent et juste derrière un tumulus en calotte de sphère ou tronconique. Devant on observe une bonne densité de grosses pierres couchées dans le sable qu'il est difficile de décrire mieux, parmi lesquelles est couché un autre grand monolithe d'une taille sans doute similaire de 4 à 5 mètres.

    Au pied du monolithe de la photographie 434 qui devrait tailler 1,5 mètre, il semble y avoir quelques pierres dressées qui font penser que ce monolithe a été redressé récemment. Tout autour des têtes de monolithes sont éparpillées. Au second plan on observe deux tumulus, l'un plus important peut être en calotte de sphère avec à son sommet des pierres qui semblent plates et un autre plus modeste sur la gauche. Les pierres de ces deux tumulus sont dans une roche similaires aux monolithes. En arrière plan, on a une vue sur la monotonie paysagère qui entoure le site, seule vue sur la plaine environnante, les autres vues étant plus dans le paysage sableux immédiat.

    La photographie 436 nous montre le petit monolithe apparaissant derrière le premier grand monolithe de la photographie et on observe un peu mieux au second plan l’espace avec des pierres dressées.

    Enfin, la photographie 442 nous montre une tête de monolithe au sol dont l'extrémité semble ressembler au gland d'un phallus, bien que l'inventeur n'ait pas souvenir d'un tel artifice et on peut croire qu’une telle observation ne lui ait pas échappée. On note la coupure quasi parfaite de l'autre extrémité qui interroge sur son façonnage ou plutôt découpage !

    D'après les coordonnées GPS, l'imagerie satellitaire nous amène sur un site dont on ne remarque pas de monolithes, mais dont on peut voir des tumulus probablement en calotte de sphère. Le site semble, comme remarqué sur la photographie 434, au bord d'un relief dévoilant ainsi le paysage vers le nord. Néanmoins, pour le moment un doute persiste, car il semblerait logique de voir des monolithes de 3 ou 4 mètres sur ces images Google et surtout Bing, à moins qu'ils ne soient depuis 2005 tombés ou pillés. Par ailleurs la dynamique éolienne de cette région est telle qu’il n’est pas impossible que le site est fait l’objet d’un ensablement plus prononcé.

    Géologiquement, nous sommes dans une zone qui laisse apparaître des grès et des granites sous les dunes de sable assez peu régulières. Au vu de ces images, il semble que nous soyons face à une roche à grain fin et très homogène gris foncé. Ce pourrait être un basalte qui a souvent la particularité de se débiter facilement dans la longueur. On ne peut guère imaginer qu'ils sont d'une production lointaine et on remarque bien que le sol est parfois jonché de petites pierres ressemblant aux plus grandes, ce qui nous fait dire que l'origine de ces pierres est probablement in situ, l’aspect général des photographies nous montrant bien qu’il y a une homogénéité d’ensemble de la pierraille.

    Merci à Bertrand Poissonnier de son commentaire : « La présence de blocs au pied des monolithes évoque des calages "aériens", inhabituels dans ce genre de manifestations. La présence du sable masque les niveaux de sol au sein desquels les blocs ont été implantés, et bien sûr en l'absence de fouilles on ne peut qu'émettre des hypothèses, au sein desquelles je suggère une possible ré-érection des monolithes, calés cette fois dans le sable et bloqués nécessairement à l'aide des blocs que l'on observe. En tous cas, le voisinage de tumulus et de monolithes dressés, pour peu que les deux phénomènes soient synchrones, invite a priori à y voir des stèles commémorant d'une manière ou d'une autre les défunts vraisemblablement déposés dans les tombes. Les comparaisons africaines que vous faites sont très intéressantes, on pourrait du reste en rajouter d'autres, mais il faut bien réaliser que nombre de poteaux plus ou moins funéraires (cénotaphes), jouant vraisemblablement un rôle analogue aux stèles, ont dû disparaître sans laisser de traces » (Communication personnelle Poissonnier 2020).

    L’idée d’un cénotaphe est des plus intéressante, car il est peu probable que l’on retrouve beaucoup de site de ce type dans la région, qui même si elle est difficile de prospection, a été néanmoins beaucoup parcourue par des spécialistes, des touristes et surtout des autochtones. Ainsi, faire de ce lieu, un lieu de rassemblement, de mémoire, ou d’expression d’un culte ou d’un pouvoir quelconque est une hypothèse séduisante, d’autant que le site peut être interprété en l’état comme une juxtaposition d’éléments divers délimitant des espaces semblant assez différenciés, renforçant l’idée d’un lieu de rassemblement. Kilian nous donne une indication sur la vénération et l'offrande de pierres dressées en Immidir, pratiquée jusqu'au passé le plus reculé, peut-être un lointain écho du culte préhistorique des pierres. Pour Kunz, les mégalithes de l'Edjer, qui ont dû marquer un lieu de culte particulier comme à Nabta Playa, manifestation d'une expression culturelle spécifique d'un groupe néolithique (Kunz 2002).

     


    Références

    Brooks N., Di Lernia S., Drake N., Raffin M., Savage T. 2003 – Preliminary results of the first Anglo-Italian Expedition in the liberated zone, Sahara, (14), p. 63‑80.
    Camps G. 1961 – Aux origines de la Berbérie, monuments et rites funéraires protohistoriques, Arts et métiers graphiques, 628 p.
    Dembélé M., Person A. 1993 – Tondidarou, un foyer original du mégalithisme africain dans la vallée du fleuve Niger au Mali, in Vallées du Niger Jean Devisse, p. 441‑455.
    Kunz J. 2002 – Die archaologischen Denkmaler des Tadrart Edger im Sudwestlichen Vorland des Tassili-n-Ajjer : ein Vorbericht, in Ithyphalliques, traditions orales monuments lithiques et art rupestre du Sahara : Hommage à Henri Lhote, AARS, p. 119‑140.
    Poissonnier B. 2020 – Monolithes - Communication personnelle.
    Roset J.-P. 1977 – Deux modes d’inhumation néolithiques au Niger oriental, secteur d’Areschima, Cahiers ORSTOM, Série Sciences Humaines, 14 (3), In The Oxford Handbook of the Archaeology and Anthropology of Rock Art, p. 325‑330.
    Sereno P.C. et al. 2008 – Lakeside Cemeteries in the Sahara: 5000 Years of Holocene Population and Environmental Change, PLOS ONE, 3 (8), https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0002995.
    Tixier A. 2018 – Ethiopie, le mystère des mégalithes, film.
    Vernet R. 2014 – Les marges préhistoriques du nord-est de la Mauritanie : le Tiris et le Zemmour, Cahiers de l’AARS, 17, p. 185‑223.