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On peut définir plusieurs périodes dans le développement de l’islam au Niger, qui se fondent bien entendu dans l’espace plus large que représente le Sahara. En premier lieu, du VIIIè siècle au XIè siècle une période où les berbères vont embrasser le rite Kharidjite et particulièrement sa version Ibadite, qui s’adapte mieux au mode de vie et au caractère indépendantiste des nomades. Du XIè au XVIè siècle, une islamisation du Sahel et du Soudan portée par les grands empires soudanais, Ghana, Mali, Songhay, Hausaland et Kanem-Bornou, où ce sont surtout les élites qui se convertissent sans abandonner les rites ancestraux toujours répandus dans les peuples. Le mouvement Almoravides marques le déploiement aussi du rite malékite. A partir du XVIè siècle, le début du Sultanat d’Agadez marque aussi un nouvelle période où l’islam, encore confiné aux élites, pénètre mieux l’ensemble de la société sous l’influence des États Hausa, le rite malékite. L’avènement de l’empire Peul de Sokoto au début du XIXè siècle, ouvre une nouvelle page de l’islam avec un foisonnement de confréries qui se poursuivra sous la colonisation et dont l’aboutissement sera, vers la fin du XXè siècle, un pays quasi intégralement tourné vers l’Islam.
La période Karidjite-Ibadite
A l’arrivée de l’islam, la plupart des berbères rejetèrent le sunnisme pour se rallier au kharidjisme, né d’une controverse sur la légitimité du califat à l’époque d’Ali. Les kharidjites insistaient sur la liberté de choix de tout musulman pour la nomination du calife. Ils réfutaient toute prérogative généalogique exclusive pour prétendre au califat, soit des lignées Kuraysh (sunnites), soit de celle d‘Ali (chiites). Les kharidjites professaient l’égalité ethnique devant la foi, tout musulman, arabe ou non arabe, quelle que fût sa condition sociale pouvait être élu à la tête de la communauté s’il possédait les qualités requises : piété, rigueur morale, savoir religieux et vie pieuse, ardeur au travail. C’est d’ailleurs ainsi que tout kharidjite méritait son salut, l’oisiveté et la prodigalité étant condamnables (Botte 2011).
Au Maghreb et au Sahara, plusieurs sous-sectes trouvèrent un terrain accueillant à leurs doctrines parmi les Berbères, en particulier au sein de la grande famille Zénète, mécontente du régime d’oppression des Omeyades (661-750) :
- les ibadites, la branche la plus importante et la plus modérée,
- les nukarites, qui organisèrent l’imamat dissident de Tahert
- les sufrites, qui fondèrent (757-758) la principauté théocratique de Sidjilmasa (berbères Miknasa) et contrôlèrent ainsi tout le commerce transsaharien de la voie occidentale jusqu’au milieu du Xè siècle.
Pendant près de trois siècles, les ibadites dominèrent un territoire immense, monopolisant le commerce des esclaves et de l’or, entre le Soudan et le monde musulman méditerranéen. De leur côté, les Berbères sahariens Sanhadja (Lamtuna, Massufa et Guedula), musulmans, mais seulement de nom, dès le VIIIe siècle, ne devinrent orthodoxes que vers le milieu du XIe siècle lors de la propagande almoravide (Botte 2011).
L’ibadisme va atteindre le Sahel essentiellement à travers les voies transsahariennes. Le commerce ne sera pas seulement le véhicule, l’islam portera également l’établissement de bonnes relations commerciales et donc la confiance nécessaire à tout échange commercial.
Le Sahel berbère est irrigué de groupes Touareg Ineslemen qui se disent pour la plupart Isheriffen. Ce sont les Zenaga en Mauritanie, les Idashahak au Mali et les Igdalen au Niger, entre autres. Ce sont aujourd’hui les groupes berbères organisés les plus anciens au Sahel, arrivés pour certains dès le VIIIè siècle. Mais on ne sait encore que peu de chose de leurs origines véritables et de l’influence qu’ils ont pu avoir sur la propagation du fait religieux.
Le tournant Almoravide
Au Xè siècle, les Fatimide vont mettre fin aux État ibadites du Maghreb et dès le XIè siècle les Sanhadja du Sahara occidental prôneront un islam plus rigoriste qui débouchera sur l’empire Almoravide qui rayonnera de la boucle du Niger au sud Andalus. Au Sahel, il bousculera les empires soudanais dont les élites seront dès lors islamisées. Les Massufa, alors guides et gardiens des caravanes transsahariennes, seront aussi présents juste derrière les pouvoirs soudanais, comme Ibn Battuta nous en ramène le témoignage (Defrémery et Sanguinetti 1858), peut être pas seulement en temps que gardes, mais aussi sans doute en temps que gardien de l’avènement de l’islam. Ainsi, les rois et empereurs soudanais feront pour la plupart leur pèlerinage à la Mecque pour rechercher la garantie divine qui légitime leur pouvoir. Néanmoins, on le sait également à travers les témoignages d’Ibn Battuta, les rites ancestraux perdurent au Soudan dans un subtile jeu d’équilibriste pour un roi qui sera pleinement Sultan pour les musulmans assistent à la prière publique, et pleinement Mansa pour le peuple qui le regarde comme son souverain (Fauvelle 2020).
La période Almoravide poussera les Messufa jusqu’aux pieds de l’Aïr, où ils fonderont vers le XIIè siècle le royaume de Tigidda, premier sultanat de notre région. On ne sait rien sur les liens entretenus avec les Igdalen présents dans la plaine de l’Ighazer depuis déjà plusieurs siècle, mais ces derniers ne semblent plus influer sur la vie politique de notre plaine, en tout cas au regard de l’historiographie que nous connaissons aujourd’hui. Cela donne un peu de crédit à l’hypothèse selon laquelle les Igdalen ont dû déposer les armes pour rester sur le territoire des Messufa, et se seraient ainsi consacrés à la lecture du Coran.
Si l’on conçoit que les Igdalen sont venus en Ighazer durant la période ibadite d’extension de l’islam, on peut alors certainement voir une confrontation possible d’avec les Messufa d’obédience malékite. Des travaux de recherche poussés sont nécessaires pour étudier plus avant une telle hypothèse. Les Messufa contrôlaient une prospère route commerciale qui reliait la boucle du Niger à l’Égypte, ils contrôlaient aussi très certainement le fait religieux, comme on l’a vu le commerce et islam sont étroitement liés et peu dissociable pour perdurer à travers le Sahara.
Lorsque Ibn Battûta passe par la capitale du royaume, Takadda, il énumère les personnes importante de la ville qui rencontre le Sultan Izar pour régler quelques affaires : le juge, le prédicateur, le cheikh des Africains et le professeur. La présence de ces figures et positions juridico-religieuses importantes témoigne de la pratique et de l'implantation de l'islam, même s'il est difficile de déterminer l'étendue et la profondeur de cette islamisation dans la population générale qu’on estime somme toute encore limitée (Vidal Castro 2007).
En parallèle de la capitale émergera un centre religieux, sans doute une zawiya, à Anisaman sur le piémont de l’Aïr. Même si un petit village de maison en banco existait, le site rassemble sur les hauteurs plusieurs éléments de dévotion individuel, faisant de ce lieu sans doute un espace de retraite spirituelle et une école renommée, puisque certaines personnalités avec les nisba Almessufa ou Aqit laisseront une trace historique.
A la fin du XIVè siècle,,c’est sans doute à Anisaman qu’on retrouve certain Messufa dont le royaume s’est effrité au profit du Sultanat d’Agadez. La visite d’Al Maghili à Takadda vers 1492 confirme un islam rigoriste, qui à l’instar des Almoravides quelques siècles plus tôt voudra éradiquer tous les juifs, sans doute encore détenteurs d’une part importante du commerce transsaharien. Al Maghili poursuivra son périple passant par la Hausaland puis Gao auprès de l’empereur Askias Mohamed, dessinant ainsi une certaine zone d’influence d’un islam rigoriste.
Les deux mosquées d’Azelik-Takadda
Ces deux mosquées sont très ressemblantes. Trois travées, une cour sur la face nord et un minaret. Ce dernier a une position différente, sur le coin nord-ouest dans un cas et sud-ouest dans l’autre. On peut bien sûr penser que ces deux mosquées ont pu fonctionner en même temps, mais elles ont aussi bien pu se succéder dans le temps, car il paraît assez étonnant de voir deux mosquées identiques, plutôt proches, fonctionner en parallèle. Un incendie, par exemple, a pu préconiser la construction d’une autre. A travers les images satellites, on perçoit bien les deux mosquées d’Azelik-Takadda, les dimensions d’avec celles du PAU correspondent bien, la cour et le minaret sont bien visibles (Bernus et Cressier 1992). Si cela se confirme, le calcul des orientations du mur de qibla donne 91° pour l’une et 78° pour la seconde, plus proche du standard en Ighazer qui est de 82°. On pourrait donc émettre l’hypothèse de l’antériorité d’une mosquée sur l’autre, à cause potentiellement d’une orientation erronée qui incita à la reconstruire pour corriger cette orientation. On pourrait également y voir une confrontation, par exemple de confrériese qui purent cohabiter sur la première vrai ville de l’Ayar.
La mosquée d’Anisaman ne possèdent ni cour ni minaret, simplement 4 travées et mirhâb qui apparaît proéminent sur les images satellites. Henri Lhote décrira cette mosquée et donnera une date de 1720±80 pour un charbon récupéré sur le site (Calvocoressi et David 1979), mais qui reste douteuse du fait d’un écart type courant de 2 ou 3 siècles, ne révélant donc individuellement pas grand-chose.
Le soufisme
A côté de l’islam de la plaine, se développe en Aïr un islam de la montagne. Les traditions orales font remonter la création des premières mosquées à la même époque que le royaume de Tigidda, plus précisément vers le début du XIVè siècle. Dans le sud du Sahara, entre Adrar et Aïr, deux courants du soufisme, la tariqa Qadiriyya et la tariqa Khalwatiyya, ont connu un développement important. C'est la fierté de la tradition touareg que l'Aïr ait été le cœur du soufisme, lequel s'est ensuite exporté en pays haoussa et dans le reste du Sahel islamisé.
La première des deux tariqa à se répandre en Aïr semble avoir été la Qadiriyya, peut être vers la fin du royaume de Tigidda, puisqu’elle aurait atteint l’Adrar des Ifoghas au début du XVe siècle. De Tadmekka (l'actuel Es Suk) déclinante un mouvement d’érudit s’est opéré vers Takadda et Anisaman (Beltrami 1982). Parmi les lieux de culte qui lui sont attribués, le plus célèbre et le plus ancien serait la mère des mosquées, Tefis, construite par Mohamed ben Ibrahim wan Tefls, ainsi que celle de Tin-Taghoda, construite 40 ans plus tard, la grande mosquée d'Aguelal, érigée par Ahmed ben Mohamed wan Tefis en 1480. Les autres mosquées qui méritent d'être mentionnées sont celles de Iferouane, la plus ancienne après les précédentes, Takriza, située au nord-ouest d'Aguelal et fondée par Sidi Malik, qui sera de Kidal en Adrar, Assodé qui est le siège officiel de l'Anastafidet du Kel Owey et enfin d'Afis, et Tefgum (Beltrami 1982).
La deuxième grande tariqa qui est arrivée en Aïr est la tariqa Khalwatiyya au milieu du XVIè siècle, représentée par le théologien Mahmud Al Bagdadi, même si cette chronologie peut être mise en doute (Triaud 1983). Il mourut en martyr à Aghalangha. Les résidences dans lesquelles Mahmud al Baghdadi aurait vécu à Air sont Abattul, puis Tchigizran (Tchirojerine), puis encore Abattul d'où il fut chassé par les Iberkhorans ; il vint à Aguellal la 13e année de sa prédication, y resta 10 ans, puis s'enfuit au mont Aghalangha, où il fut tué (Beltrami 1982). La Khalwatiyya se définit surtout le mot khalwa qui signifie retraite spirituelle. Elle est ailleurs pratiquée par autres tariqa et appartient par conséquent au fonds commun du soufisme qui consiste en une retraite de quarante jours dans un lieu obscur comme une grotte ou une construction aménagé (Triaud 1983). En Aïr, elle se traduit aussi par un pèlerinage annuel à travers l’Aïr, et elle peut expliquer l’architecture de certaines anciennes mosquées, au plafond bas et à l’obscurité certaine.
Le XVIIè siècle va également marquer un tournant important dans la société de plus en plus islamisée. Les conflits entre les traditions berbères et le rigorisme islamique font de moins en moins bon ménage. Si les pouvoirs centraux s’en accommoder l’intégration de l’islam dans le quotidien du peuple mets aussi en lumière ses différences. Un des faits majeurs en est la succession utérine qui prévalait dans les mœurs berbères et Touareg et qu va à l’encontre de la doctrine islamique qui donne la primauté sur la succession, et donc l’héritage, de père en fils. Les troubles qui éclatent ainsi entre tribus entraîneront le retrait de l’Aïr des Iberkoreyan, et des Kel Gress encore présents dans l’Aïr, mais aussi des derniers Messufa présents dans le centre spirituel d’Anisaman.
Le XIXè siècle voit l’influence encore grandissante du Hausaland sur la Sultanat d’Agadez. Le commerce transsaharien est balbutiant et le Sultanat se tourne encore un peu plus vers le sud. Le Jihad Peul voit le mise en place d’un puissant empire autour de Sokoto. Même si ce dernier ne dépassera guère le Gobir militairement parlant, son influence sera importante sur toute la sous-région.
La période coloniale
Cette période est marquée par la venue d’une nouvelle confrérie, la Sanussiyya venue du Fezzan. Elle se traduira surtout par la prise d’Agadez par le sénoussiste Kaocen qui fera siège du poste militaire français. Ce dernier se libéré par les colonnes françaises venue de Tahoua et de Zinder, Kaocen et ses troupes fuient dans les montagne de l’Aïr, poursuivent par les français qui feront le nettoyage des montagnes incendiant toutes les habitations pour couper toute retraite et toutes ressources aux révoltés. Les religieux ne seront guère épargnés sur Agadez et In Gall, ainsi que les centres religieux de l’Aïr. L’Aïr est alors dépeuplée et mettra une décennie à s’en remettre.
Même au-delà ou à la limite de l'orthodoxie islamique, l'islam nigérien conserve certains traits et caractéristiques indigènes. Il s'agit de pratiques païennes qui ont survécu, car les croyances en la magie, les sorts, les forces démoniaques et les génies sont présents dans presque tous les groupes ethniques. C'est le cas des Kel Esuf touaregs de l'Aïr ou des nombreuses croyances et pratiques païennes des Peul Woodabe. Un autre aspect de l'adaptation et de la fusion de l'Islam avec la culture indigène au niveau intellectuel ou idéologique est la croyance répandue parmi les cultures Zarma/Songhay et Hausa, en la possession des esprits, qui n'est pas acceptée par les musulmans nigériens les plus puristes. Cette croyance consiste en la capacité d'une personne à être possédée par des esprits visiteurs, que l'individu peut percevoir. L'Aïr se caractérise aussi par l'utilisation de nombreuses amulettes pour se protéger d'un grand nombre d'éléments et de circonstances : maladie, mauvais œil, génies malfaisants, ennemis, etc. (Vidal Castro 2007).
Référence
Beltrami V. 1982 – Una corona per Agadès : Sahara, Air, Sahel, Roma, De feo editors, 266 p.
Bernus S., Cressier P. 1992 – Programme archéologique d’urgence 1977-1981 : 4- Azelik-Takedda et l’implantation médiévale, Études Nigériennes no 51, IRSH, 390 p.
Botte R. 2011 – Les réseaux transsahariens de la traite de l’or et des esclaves au haut Moyen-Âge : VIIIe-XIe siècle, L’Année du Maghreb, VII, p. 27‑59.
Calvocoressi D., David N. 1979 – A New Survey of Radiocarbon and Thermoluminescence Dates for West Africa, The Journal of African History, 20 (1), p. 1‑29.
Defrémery, Sanguinetti 1858 – Ibn Battuta, Le voyage au Soudan, Société asiatique, , 376‑449 p.
Fauvelle F.-X. 2020 – Leçons de l’histoire de l’Afrique : Leçon inaugurale prononcée le jeudi 3 octobre 2019, Leçons inaugurales, Paris, Collège de France.
Triaud J.-L. 1983 – Hommes de religion et confréries islamiques dans une société en crise, l’Aïr aux XIXe et XXe siècles. Le cas de la Khalwatiyya., Cahiers d’Études africaines, 23 (91), p. 239‑280.
Vidal Castro F. 2007 – El islam en Níger: sociedad, cultura e historia, Editorial Universidad de Granada.